Préface

 

           Ce présent ouvrage veut témoigner de l’odyssée des Mosellans recrutés dans la Kriegsmarine dont des centaines d’entre eux ont sombré, à l’image de leur jeunesse sacrifiée, dans les sombres abysses d’un noir destin.

          Sang d’ancre!A partir de ce jeu de mot sur l’expression «se faire un sang d’encre», j’ai cherché à relater les maux et les souffrances de ces moussaillons pour lesquels l’inquiétude des proches était extrêmement vive aussi ! Car les témoignages qui vont suivre pourraient à leur tour faire saigner une ancre tant la vie nautique les a menés en bateau dans leur existence si périlleuse dedans et sur les mers !

          Parlons-en de la guerre des mers avec ses horreurs aux écailles pourpres ! Sang d’ancre sur les ponts couverts de cadavres déchiquetés par les éclats acérés des obus ! Sang d’ancre derrière les tourelles quadruples dégoulinantes de sang froid pour l’éternité ! Poteau d’exécution éclaboussé par du sang innocent ! Naufragés engloutis dans des abîmes inconnus ! Matelots extraits de leurs unités pour être basculés comme chair-à-canon sur l’Armée Rouge, si avide de revanches ! Confrontés à l’Ennemi à bord de leurs monstres d’acier qu’ils fussent en surface ou en immersion, les matelots de la marine de guerre allemande y éprouvèrent le stress et la fatigue physiques, le danger des affrontements,  les dures conditions de navigation, le face-à-face d’une technologie alliée conquérante, l’omniprésence de la Mort dans les traîtres flots océaniques.

          Bloqué dans le ventre du Tirpitz, Becker Michel remonte des tréfonds du cuirassé pour être sauvé 26 heures plus tard avec 86 autres rescapés, en présence et sans le savoir d’un autre compatriote, Joseph Greff, toujours alerte à 90 ans, et qui évoluait à cette époque sur un cotre fumigène pour soustraire le cuirassé à la vue des Lancaster et qui a assisté, le 12 novembre 1944, au chavirage du frère jumeau du Bismarck ! Joseph Schumacher a également été un témoin direct de son retourné spectaculaire ainsi que Gehrard Albert.

          Deux naufragés ont survécu miraculeusement à leur engloutissement (Alphonse Brun de Henriville sur le cargo ‘Friedrichshaven’ et Charles Jacobs de Petite-Rosselle sur 3 navires successifs donc touché, puis retouché-coulé et enfin re-coulé ! Le diacre André Ferry, embarqué sur un pétrolier, une vraie poudrière ambulante, traverse miraculeusement les épreuves entre les flammes bienveillantes d’une bonne fortune. D’autres témoins privilégiés connaîtront les moments forts de l’Histoire : le séjour en Crète, l’évacuation de la Laponie, le jour J du Débarquement, les bombardements tonitruants sur le Valentin, ce bunker grandiose promis au montage des U-Boote XXI révolutionnaires, etc ……….

          Paix aux âmes des Matrosen Henrion Alphonse et Fimeyer Joseph, leur sentence de condamnés à mort les a conduits à des exécutions capitales à Sylt, à Usedom. Le fils Henrion et le frère Fimeyer Pierre Paul, incorporé de force, me rapporteront laconiquement quelques renseignements sur les motifs de leur condamnation. Mitraillé devant sa tourelle, Kuntz Pierre n’aura pas la chance de revoir son petit garçon. Pour beaucoup de nos jeunes compatriotes, tels Hinterholz Joseph ou Nicolas Salmon, leur baptême de la mer s’est englouti à jamais dans les déserts d’eau de la Baltique. D’autres Alsaciens-Mosellans ont vécu de tels enfers dantesques : Ainsi K.L.P., un Malgré-Nous parmi des milliers d’autres affectés dans la Kriegsmarine témoigne :

          « J’ai été trois fois naufragé :

          - la première fois, le navire a sauté sur une mine,

          - lors de la deuxième attaque effectuée sur notre bateau par des roquettes d’avion, un camarade a été transpercé par un tel engin. Pas une goutte de sang ne sourdait de son corps troué ! On aurait pourtant pu passer le poing à travers sa poitrine,

          - la 3ème fois, après une salve, le bateau a pris une gîte importante. Enfermé dans l’infirmerie, je n’arrivais pas à décoincer la porte. J’ai dû la fracasser pour m’en sortir. Je suis resté dans l’eau plus de 48 heures. J’ai repris connaissance à l’hôpital avec une broncho-pneumonie bilatérale. J’ai retrouvé des blessés avec des têtes de fémur dans les creux axillaires, autant dire qu’on ne pouvait plus rien pour eux. ….

Un blessé aux jambes et testicules arrachés hurlait à mort. Le médecin a donné son pistolet au malheureux qui s’est tiré une balle dans la tête. Un marin, posté à côté de son officier qui était en train de lui transmettre ses ordres, reçut un éclat qui lui trancha la carotide. Le gradé reçut le jet de sang dans la bouche et s’évanouit …..

          Pour les sous-mariniers, il n’y avait pas d’horizon bleu ciel dans leur submersible, les yeux ne portaient jamais à l’infini. Dans ces torpilleurs peu propices à rester continuellement en immersion sinon avec l’aspirateur démoniaque qu’était le schnorchel, la fiabilité aléatoire des grauen Wölfe confrontée à la technologie avancée des Alliés et à leur parade musclée faisait que fin 1944 un seul submersible sur 5 rentrait indemne dans son Stützpunkt! A travers leurs hauts faits de gloire, les meutes de loups-gris perturbèrent d’insomnies mainte nuit de Churchill qui en conçut une crainte légitime au vu de leurs succès initiaux. Fier, traditionnel, ce corps d’élite à l’instar des parachutistes de Student sautant sur la Crète, distillait une telle aura, un tel Nationalstolz auprès des civils du Reich qu’on prit les sous-mariniers pour des as qui ne coulaient pas, bref, des gars insubmersibles.

          Doenitz qui avait lui-même servi sur un U-Boot en 1917 connaissait cette promiscuité démentielle infligée à bord à ses vaillants surhommes. Gourou doté d’un charisme qui subjuguait ses hommes, il avait su convaincre Hitler de la nécessité de jouer la carte sous-marine pour détruire l’approvisionnement dirigé vers le Royaume-Uni, le plus gros importateur du monde et  établir le blocus sur le dernier adversaire en Europe de l’Ouest.

          Mais après les fiascos de l’opération Seelöwe et de l’Adlertag conçus pour envahir Albion, après le revirement conquérant de l’Armée Rouge et l’engagement américain suivi de la perspective d’un débarquement inéluctable, Doenitz, le Commandant des sous-marins, (B.d.U. = Befehlshaber der U-Boote) avec l’aide du Ministre de l’Armement Speer, fit fabriquer et armer des sous-marins plus performants, dotés de torpilles acoustiques, munis de détecteurs de radar et du schnorchel, en attendant le redoutable XXIV du Professor Walter qui avait conçu un pur-sang préfigurant les Léviathans nucléaires.

          L’hécatombe noire qui avait vu disparaître en 1941, en moins d’un mois, les 3 As qu’étaient Prien, Schepke ou Kretschmer, imposait désormais de prudentes manœuvres de survie et des ruses de Sioux arpentant avec précaution les prairies du Grand Bleu. Sans parler des progrès du radar allié qui rendirent possibles les repérages des intrus, de jour comme de nuit, qu’ils soient en surface ou sous les vagues ! Fini le tir d’exercice sur les navires qui naviguaient sans protection le long des côtes américaines ou qui étaient mal protégés par des escortes aux équipages inexpérimentés ! C’est que le rayon d’action des avions patrouilleurs avec leur armement anti-sous-marin couvrant progressivement  l’Atlantique Nord allait toujours s’améliorant.

          Après l’éphémère coup de cymbales (Paukenschlag) annonçant le chant du cygne, s’amorçait maintenant une organisation protectrice constante des convois avec des porte-avions d’escorte accompagnateurs. Des groupes de chasseurs, les hunters, éliminaient les taupes-grises des routes maritimes, désormais marquées par les échos dantesques des charges de profondeur fondant sur leur proie. Nous allons suivre dans cet ouvrage la vie quotidienne de ces matelots de l’extrême. Imaginez le rythme lent de cette chevauchée au ras des vagues, sous l’oreille fureteuse de l’ennemi aux aguets ! D’ailleurs la lecture du Kriegstagebuch, au travers des relevés journaliers précisant la position à midi sonnantes, l’état de la mer et du ciel, la force et la direction du vent, tous les incidents possibles peut paraître fastidieuse à lire mais elle fait transpirer les difficultés qu’aborde l’équipage soumis aux tensions permanentes.

          Jean Grill sur le U-636 voguant victorieusement dans la baie de Finlande, René Jansen sur le U-1061 parti ravitailler les bases de Norvège en mines flottantes ou testant le révolutionnaire XXI et Joseph Lebon, l’engagé volontaire sur le U-1221 envoyé sur les rives de la Nouvelle-Ecosse devant le Canada, relatent chacun leur périple exceptionnel.Dans ce double sarcophage entourée d’eau glauque et de métal froid, comment tromper ses angoisses, oublier ses tensions extrêmes au milieu des dangers permanents ?  « J’ai plus de nuit que la tombe », fait dire Victor Hugo à l’Océan. Souffrant dans leur chair, au milieu des privations, les équipages héroïques se transcendaient dans des fulgurances qui leur firent braver le Danger permanent. Herbert Zimmer, devenu franco-sarrois au retour de captivité, a vécu le record du monde du grenadage sur l’U-427 avec 678 charges de profondeur encaissées !

          L’opinion allemande, bercée par les rodomontades de la Propaganda, considérait les sous-mariniers comme des héros qui menaient une vie exaltante, faite de cran et de sang-froid. En effet, certaines photos exubérantes de reporters embarqués pour la circonstance dans une mission guerrière visionnaient des joueurs d’échecs placides, pratiquant ensuite un sport de délassement sur le pont, avec des baignades de lézard sous les tropiques, la douche de propreté, des menus de gourmet entrecoupé de veillées studieuses. Certes, ces prises de vues étaient destinées à des fins de propagande, d’exaltation pour activer les recrutements d’autant plus que les vues suivantes plus martiales enclenchaient sur le torpillage des cargos, la canonnade sur les pétroliers : la fièvre du combat se terminait évidemment en apothéose par l’euphorie d’un nouveau trophée de guerre ! Mais une fois la caméra emballée, le vrai contexte s’affichait à bord. Les hommes souffraient, souffraient d’ennui, d’inconfort, d’angoisses. Comment évacuer la peur qui triturait jour et nuit l’esprit face aux dangers et aux bruits permanents, comment s’interdire l’épuisement lié au stress qui anesthésiait progressivement leur ardeur guerrière ? A côté de l’ennemi régnant progressivement en maître sur les océans, les U-Bootmänner vivaient dans un monde clos et nauséabond qui prenait à la gorge et matraquait les oreilles. Aux effluves corporelles s’imbriquaient les remugles des latrines, l’eau croupie des fonds de cale, la moisissure d’habits encrassés.

          Les émanations agressives du gasoil, les corrosions aigrelettes de l’oxyde de cuivre encrassant les cosses des batteries et les fumées néfastes des hydrocarbures étaient accompagnées des incessants papotages de la radio ou de la ronde casse-pieds du Metox. Avec les succions intempestives des prises d’air relayées par les cognements lancinants des diésels trépidant sur leur socle, le brusque coup de bélier des pompes de vidange récalcitrantes interpelait les regards affolés des reclus dans leur sépulcre d’acier. Dans ce cercle fermé, au sens propre du terme, apparaissait parfois un désir de sortir de soi, de s’expulser de sa boîte : ce fut le cas de Motyl sur le U-1221, le seul suicide enregistré parmi la saga des U-Boote !

          C’est qu’il fallait mobiliser toute son énergie, ses capacités d’attention continue, sa résistance physique, une concentration hors-pair ! Pour avoir l’étoffe de HEROS dans leur vase clos si inconfortable, les trompe-la-mort devaient oublier leurs angoisses, leurs tensions extrêmes, quitte à aller jusqu’au sacrifice de l’équipage.

          Pas étonnant que de nombreux gars, à la veille de s’aventurer dans une patrouille guerrière, aient voulu lâcher cette incubation qui consistait à épouser l’habitacle jour et nuit, ce pot au noir lugubre. Vague-à-l’âme de Jean Grill qui se désespère de sa vie de mécano à bord du U-Boot 637 et qui en vient à envier l’existence des moines cisterciens ! Les Unterseematrosen qui ressortaient vivants de leur cercueil métallique avaient vieilli de dix ans tant les dangers latents menaçaient leur courte existence !

          Ce n’est que lorsque le bateau jetait enfin l’ancre que la Bête s’endormait et que se calmait l’appréhension des soldats des Océans. Le ciel bleu devenait alors renaissance comme si l’on sortait d’outre-tombe. Véritable bouteille sophistiquée et intelligente jetée à la mer par les ingénieurs allemands au moment du Crépuscule des dieux, le sous-marin XXI qu’a testé René Jansen préfigure les sous-marins sortis après-guerre des arsenaux internationaux. Leur technologie ayant été copiée sur les prises de guerre que se sont arrogé les Alliés, permettra aux vainqueurs de construire de nouveaux prototypes d’où sortiront les sous-marins classiques sur lesquels a servi le journaliste Jean-Marie Says durant 5 ans et qui nous livrera ses expériences. Cobaye à sa manière, l’intendant Says assurera des missions d’expérimentation et de conditionnement de vivres de longue conservation pour les futurs sous-marins nucléaires qu’ils soient d’attaque ou lanceurs de missiles.

          Il faut savoir que le plan Coelacanthe fédérait l’ensemble des programmes concourant à l’étude et à la réalisation des systèmes nécessaires à la mission de dissuasion nucléaire assurée par la force océanique stratégique de la Marine nationale. La réalisation des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins SNLE type Le Redoutable, dont Le Terrible, sorti en 2010, constituait ledernier modèle de la série, était un des éléments centraux de ce programme d’ensemble. Après de nombreuses années d’études et de développement, la création de ces véhicules flottants extraordinaires put notamment aboutir grâce à la mobilisation des ressources de la direction générale de l’armement (DGA) et à l’implication du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), avec l’aide de nombreux laboratoires, d’universités, d’industriels français et de marins testés comme Jean-Marie Says sur les nouveaux modes de nutrition.

          En raison des difficultés de localisation de ces submersibles lors des patrouilles de plongée de 65-75 jours, ajoutées aux qualités de discrétion acoustique, les sous-marins nucléaires français lanceurs d’engins (d’une longueur de 140 mètres avec un déplacement en plongée de 14 000 tonnes) disposent de 16 missiles balistiques stratégiques à charge nucléaire placés en silos verticaux dans la partie centrale du monstre et peuvent être lancés en plongée. Leur mission de dissuasion leur permet d’assurer des frappes nucléaires de riposte.

          Dotés d’une très grande autonomie et d’un niveau de discrétion inégalé, ces sous-marins constituent une pièce maîtresse de la force de dissuasion. Le traité de réductions des armes stratégiques et la limitation des ogives nucléaires plaideraient en ce sens, mais comme dit l’adage, l’envie d’appuyer sur le bouton rouge doit de temps en temps titiller le cerveau délabré d’un apprenti sorcier machiavélique !

          Puissent-elles ne jamais être utilisées !