GRILL Jean †  habitant à Carling, né le 2 février 1922 à Freyming (Moselle).

R.A.D. passé à Reimsbach à 7 km de Merzig (Sarre). Séjour correct. Démontage des casemates de la Ligne Siegfried dont l’armement sera acheminé dans les blockhaus du Mur de l’Atlantique en construction.

 

 

 

         Kriegsmarine :

J’arrive en janvier 1943 dans l’artillerie marine à Gotenhafen (Gdynia) pour passer deux mois de formation dans la Rekruten Kompanie puis je file à Kiel.

En avril 1943, je retourne à Gotenhafen sur le transatlantique (Überseedampfer) Océana. Les paquebots allemands étant indésirables sur mer, on les reclasse en bateaux-écoles et casernes. Au Marine Lazarett attenant à notre navire a lieu la visite médicale. Après un exercice physique imposé (des pompes !) le médecin, stéthoscope en main, vérifie mon rythme cardiaque et l’état des poumons. Je deviens bon pour l’arme sous-marine, direction Kiel. Me voilà affecté à la 5ème flottille des sous-marins dans un Ausbildungsboot
Durant ma formation à l’entraînement sur U-Boot (Ausbildungsboot), j’étais détaché aux chantiers navals lors de la construction de mon futur U-Boot afin de mieux connaître les techniques de sa conception puis de sa fabrication.
où mon nouveau rôle consiste à m’imprégner du cadre de vie interne en travaillant sur mon propre sous-marin en train d’être fabriqué dans l’arsenal Werft Germania.

 

Lentement, il prend corps: les cylindres volumineux constitués par d’épaisses plaques cintrées sont soudés pour former le long cigare d’acier subaquatique. Avec d’autres équipiers, je m’active dans le ventre même de notre futur submersible.

Je suis mécanicien-ajusteur (Schlosser) et mon rôle consiste à étoffer l’intérieur. Câbles, tuyaux jaunes, verts, (rouges pour le gasoil, bleu clair pour l’oxygène...) cadrans et divers équipements meublent petit à petit les différentes salles internes.

Je passe avec facilité l’épreuve dite de l’évacuation. Excellent nageur et plongeur confirmé dès mon plus jeune âge, je quitte sans problème le caisson d’expérience. Lorsque l’eau y monte, la surpression dilate les yeux et fait vibrer le pavillon des oreilles. Pour décongestionner les oreilles qui cognent, il suffit de se pincer le nez et d’expulser l’air emprisonné qu’il faut expirer par le canal auditif. La pression cesse aussitôt.

Peu après, je suis embarqué sur l’U-Boot 1054 avec l’Oberleutnant zur See, Wolfgang Riekeberg, qui suit une campagne de formation poussée pour maîtriser la conduite parfaite d’un sous-marin et surtout pouvoir, au sortir de cette instruction, être parfaitement préparé aux futures missions de guerre. Entré en collision avec le ferry norvégien Peter Wessel près de l’île de Héla (à la bouée 1) et très sérieusement endommagé, le submersible rentre à Kiel où il est retiré du service le 16 septembre 1944.

Une permission de trois semaines suit ce premier voyage. Il n’est pas question pour moi de déserter ou de me cacher. Je n’ai pas eu envie de sacrifier mes parents.

 

Course ennemie: (Feindfahrt) à bord du U-637 (Feldpost Nummer M51550).

L’U-Boot 637 sur lequel nous embarquons contre toute attente ! disposait d’un équipage revenu de sept (?) campagnes harassantes, les hommes avaient refusé cette huitième épreuve. Les gars, à la fois usés nerveusement et physiquement éprouvés étaient lessivés, finis. Qu’advint-il d’eux ? (Ndr : l’histoire est tout autre, cf. archives allemandes à l’appui).

Ce que Jean Grill interprète comme une sédition n’est que le ras-le-bol de l’équipage excédé par les divers changements de capitaines et de personnel.

Du fait que les 3 commandants successifs, Dieterich, Zedelius (relevé de ses fonctions) et Fabricius étaient tous d’anciens pilotes d’hydravions en manque d’expérience sous-marine, le submersible resta bateau-école au-delà du temps imparti. Entièrement équipé et se préparant à sa première sortie opérationnelle (Frontfahrt), sa mission était de parer à une seconde invasion possible, aux yeux du Führer, dans le sud de la Norvège. Mais que faire d’un équipage sujet à des dissensions et à des conflits ouverts avec les gradés sinon débarquer les plus virulents ?

Ordre fut alors donné à quelques hommes du U-637 qui n’avaient pas démérité de se rendre à Kiel où une nouvelle équipe de service refondue prit place à son bord, du 27 août à fin septembre 1944. Placé sous les ordres d’un nouveau commandant, l’Oberleutnant Fabricius, le bateau connut par malchance un éperonnage qui lui coûta quatre semaines de chantier à Gotenhafen. Constatant à nouveau l’incapacité latente du personnel pour manœuvrer correctement le bateau et qui venait de connaître un nouvel accident de parcours en mer, l’Amirauté désigna Riekeberg avec tout l’équipage du 1054 pour en prendre, sur ordre supérieur, le commandement le 1er octobre. Quant à notre propre U-1054 accidenté à Héla, il fut réformé à Kiel et conduit à Rostock où une partie de l’ex-équipage du U-637 entreprit sa démolition.

Suite à cette attribution inattendue, Riekeberg hérite donc d’un sous-marin VII-C neuf. Notre encadrement subit quelques modifications. Un nouvel officier de garde, plus jeune, remplace l’ancien IWO. Le second et l’ingénieur en chef sont également sur le départ, une promotion les affecte avec un grade supérieur sur un autre bâtiment. Un trio néophyte les remplace. Sera-t-il à la hauteur ?

Des noms d’hommes de l’équipage me reviennent : Bäcker, Balke, Biereigel, Hennig, Hiller, Kaufmann, Kornelius, Kraus, Leist, Metz, Neuhöfer, Pucher, Schlütz, …

Wolfgang Riekeberg, notre capitaine (Oberleutnant) bientôt promu K.L. (prononcez Ka Leu -Kapitän Leutnant) est un officier sorti du rang qui a vite assimilé son nouveau job. Entré dans la Marine en avril 1937, il rejoint les sous-marins en mai 1943. Interné auparavant en Argentine après le sabordage du Graf Spee, il put rallier l’Allemagne. Etant devenu officier d’artillerie marine sur le navire corsaire Stier (mars à décembre 1942) et officier de tir sur le bateau-pirate Hansa (ce dernier navire n’étant jamais parti), son attitude de vieux loup-de-mer n’est plus à démontrer et son savoir-faire habile rassure d’emblée tout l’équipage au moment de sa prise de fonction de commandant. Mais pour gagner l’estime des hommes, encore faut-il faire preuve d’intelligence et d’art consommé dans la pratique sous-marine. Pour ce faire, il a passé son initiation classique d’aspirant à la conduite sous-marine de mai à octobre 1943, dans la 5. Flottille Ausbildung, avant de suivre les cours de commandant à la 23ème Flottille jusqu’en janvier 1944 dans un entraînement plus poussé (Frontboot). Le 25 mars, il prend les commandes de son premier sous-marin, l’U-1054. Puis, après les péripéties du télescopage de son sous-marin 1054 et la zizanie ambiante régnant sur le 637, il assurera les rênes de ce dernier le 1er octobre 1944.

Wolfgang Riekeberg est mort sur son U-637 le 26 avril 1945 lors d’une escarmouche avec des torpilleurs norvégiens. Je reviendrai sur les circonstances de son tragique décès en fin de récit.

Je puis l’assurer, Riekeberg arrivait par son calme placide et son argumentaire percutant à déstresser les hommes et surtout à tranquilliser tel ou tel matelot subitement pris de peur panique ou de claustrophobie. Il sait le raisonner. Comme mineur de fond et de ce fait imprégné par l’atmosphère confinée des galeries, je ne redoute pas le climat du cercueil aquatique.

Nous appareillons de Kiel le 13 octobre, avec des vivres emmagasinés destinés pour une croisière, nous dit-on, de trois mois. Le départ de Dantzig a lieu le 25 novembre 1944, nous reviendrons à notre point de départ le 13 janvier 1945, après sept semaines de course en Mer Baltique. Notre objectif est de nous glisser au fond du golfe de Finlande dans la baie de Leningrad afin d’y observer la flotte russe prise dans sa propre souricière. La baie est en effet bloquée par des champs de mines sous-marines.

Le coin, nous dit-on, est bien calme puisque l’ennemi neutralisé ne se manifeste pas et vadrouille à l’intérieur de ses eaux (carreau 3547). Nous y coulerons la vedette rapide blindée, le BMO-594 de 56 tonnes, le 24 décembre à 9h 28. (Certains rapports précisent que la vedette rapide pesait 39 tonnes).

Mon travail de chauffeur diéséliste est de veiller sur les moteurs avec un gars taciturne, Kiel Helmuth, originaire de Thuringe. Il se mure dans un mutisme désobligeant et plus d’un tour de garde se passera dans un silence glacial perturbé uniquement par les ronronnements lancinants des moteurs diésel actionnant vilebrequins et pistons durant nos remontées nocturnes à l’air libre pour réalimenter les batteries électriques. En immersion, nous sommes assis côte à côte durant quatre heures, muets comme des carpes. Les moteurs électriques s’activent tandis que les diésels font relâche. Nous travaillons en règle générale quatre heures la nuit et six heures le jour. Tout un équipement de secours mécanique est embarqué: pistons, bielles et accessoires les plus divers constituent entre autres matériels le stock de réserve.

Au départ, le plancher de notre salle de moteurs est encombré de boîtes de conserves. Un caillebotis amovible est plaqué avec sa couche de feutre protectrice sur les récipients de fer-blanc. Au fur et à mesure des besoins, le stock de conserves s’amenuise et progressivement nous remettons en place la dalle en bois, sanglée dans un dispositif la bloquant dans son assise. Feux rouge ou vert indiquent que l’endroit du W.C. est clos ou disponible.

Sur le type VII-C, cinq torpilles (4 Bug- et 1 Hecktorpedorohr) peuvent être engagées dans leurs tubes lance-torpilles, dont une, comme indiqué à l’arrière. 7 autres anguilles de réserve s’étalent sous les couchettes aussi bien dans l’étroit Bugraum (salle des torpilles avant) que dans le Heckraum (poupe). Parmi ces engins de mort, des torpilles de type T5 ainsi que des cigares acoustiques sont prêts à l’action. Dès leur éjection, il faut éteindre toute vie mécanique intempestive à bord, plonger à -60 mètres, à -120 mètres et s’esquiver rapidement.

Pour éviter un retour prématuré du "fauve explosif", on doit fuir la torpille lâchée car on ne voudrait pas finir comme l’arroseur arrosé, c’est-à-dire prendre de plein fouet le projectile avide de détecter les ronronnements de nos turbines diésel ou de nos moteurs électriques à défaut d’exploser sur les mécaniques ennemies !

Le mal de mer provoque des vomissements mais le cœur solidement accroché surmonte le balancement de  l’aquanef en suspension. Lorsque nous nous posons sur le fond marin, tout s’apaise. On doit alors, pour la plupart des hommes d’équipage, rejoindre nos couchettes. A la paroi est accrochée une ceinture à laquelle nous nous harnachons. L’air délétère nous fatigue et nous abrutit à cause de la raréfaction de l’oxygène et suite aux miasmes fétides dégagés par la vie à bord et aux vapeurs malsaines des gaz d’échappement des diésels non évacués complètement lors de la prise d’oxygène en surface. Les gouttes de condensation perlent; de temps en temps, l’une ou l’autre s’écrase sur nos visages barbus. Il nous faut remonter pour respirer, de nuit de préférence.

Nous arrivons bientôt près des côtes estoniennes. Ne craignant apparemment aucune attaque surprise, la marine russe s’imagine être en croisière au milieu de ses tapis minés. Deux vedettes rapides y font la navette, se croisent régulièrement à l’extérieur dans la mer dégagée et remontent chacun le chenal, en étant réglés comme des métronomes. Les deux bateaux calquent leur vitesse et se croisent devant nous. Notre capitaine a vite tiré parti de cet immuable rituel, il lui suffira lors d’un croisement propice de leur envoyer deux torpilles qui iront l’une après l’autre détruire les deux navires imprudents. Durant huit jours, nous observons leur manège.

Enfin le 24 décembre 1944 le compte à rebours a sonné, le gibier s’aventure sans crainte dans le piège tendu.

« Torpedo eins ...!  Torpedo zwo... !  Torpedo drei…. los ! » Les trois torpilles sont éjectées et filent vers le flanc gauche des "sentinelles de la mer". On entend dans le bigophone l’officier de tir, muni d’un chronomètre, égrener les secondes « 1, 2, 3… 223, 224.» Une explosion sourde suivie d’une deuxième très rapprochée nous indique un double coup au but. Il s’agit maintenant de ne plus moisir ici et nous filons ventre sous mer dans une Schleichfahrt au cours de laquelle nous nous faufilons sans bruit à travers les mailles ennemies.

Parfois, la résonnance d’un bing sur la coque nous alerte ! Tous les bruits sont immédiatement suspendus : roulement, hélices, pompes ne s’activent plus dans ce cache-cache mortel. Le calme plat règne dans l’habitacle car, au-dessus de nous, se promène le sonar ennemi à l’écoute du moindre bruit.

Nous redoutons le largage de bombes et de grenades russes vers notre cible muette tapie sur le fond marin.  

Historique :

Mer Baltique : à 09h 28 le 24 décembre, l’U-637 a envoyé une gerbe de trois torpilles FAT sur un convoi soviétique inconnu naviguant près du Cap Pakri dans la Mer Baltique et a entendu une détonation après 3 minutes 44 secondes indiquant des bruits de bateau naufragé.

À 09h 49, un Moustique (Gnat = torpille) a manqué sa cible et à 10h 09 une autre torpille acoustique navale allemande (Gnat) a été lancée, suivie d’une détonation après 3 minutes de course rappelant là aussi des bruits pareils à un naufrage. Selon des sources soviétiques, (souvent cachotières), seul le bâtiment BMO-594 Baltiec de 39 tonnes a été perdu. (Dave Shirlaw)
24. 12. 1944 - At 0928, U-637 fired a spread of three FAT torpedoes at an unknown Soviet convoy of Cape Pakri in the Baltic Sea and heard a detonation after 3 minutes 44 seconds followed by sinking noises. At 0949, a Gnat missed its target and at 1009 another Gnat was followed by a detonation after 3 minutes and then sinking noises. According to Soviet sources only BMO-594 Baltiec was lost.

 

[ Notes du rédacteur ] 
Les Russes, après leur offensive dans le Nord Abschnitt, libèrent Narva en janvier 1944 et l’Estonie. La maîtrise de l’air commence à leur appartenir et les sorties intrépides de leurs vedettes rapides se multiplient. Lorsque nous rechargeons les batteries électriques durant la nuit, le bruit intempestif des moteurs ennemis nous alerte de loin: nous nous mettons rapidement à couvert des flots.

 

 

Le 9 janvier, 4 jours avant notre retour victorieux, nous torpillons un groupe de 6 petits dragueurs de mines devant Padilski
Einsätze deutscher U-Boote in der Ostsee im Finnenbusen: Am 9.1.1945 torpediert U 637 (Kpt.lt. Riekeberg) vor Paldiski (= Baltischport) einen Verband von 6 kleinen Minenschiffen (Seekrieg Januar 1945). (= Baltischport, un port au nord-ouest des côtes de l’Estonie).

 

Sur la photo du U-637 vous pouvez voir l’équipe de garde complète avec l’officier de quart.

Chaque vigie devait surveiller un angle de 90° de tour d’horizon. Devant la bordure du kiosque se trouve un télescope à monture blanche, autrement dit, des jumelles spéciales dites UZO dotées d’un double vitrage de protection. Dans le foyer de ces jumelles se profile en filigrane une croix qui permet de cibler le navire ennemi naviguant en surface et de le canonner avec les armes de bord.

L’UZO est relié à l’ordinateur qui lui fournit automatiquement la combinaison de la direction et les informations de distance séparant le sous-marin de sa proie. L’officier avec sa casquette a derrière lui ce télescope fixe.

On distingue un trou noir en forme de croix dans lequel est inséré le Fumo (Funkradar-ortungsgerät), un appareil anti-radar longuement décrit dans le journal de bord du U-1221.

Avant d’opérer la remontée, l’hydrophoniste ausculte attentivement les bruits de la mer tandis que le Leutnant zur See vérifie avec son périscope si l’horizon est dégagé de toute présence de patrouilleurs de surface ou d’avions.

Il gravit alors l’échelle pour arriver dans la baignoire suivi de l’officier de garde. Si la mer est libre après une scrupuleuse observation, un sous-officier appelé en renfort et épaulé par deux hommes monte dans la baignoire. Ils sont chargés de surveiller attentivement le large tout azimut (Ausguck = vigie, ausgucken = observer au dehors, surveiller). Sur l’ordre du capitaine, quatre autres marins postés sous la tour montent et viennent armer le canon et la mitrailleuse lourde afin de parer à toute attaque improviste. L’air insufflé au moment de l’ouverture de l’écoutille s’infiltre comme un souffle de vie dans les coursives. La respiration reprend son rythme régulier, car lors de longues plongées pour échapper aux recherches, elle devient étouffante.

Lors de grosses tempêtes, les hommes de la vigie portent des harnais de sécurité (Sicherheitsgürte) mais on ne distingue pas ici les arceaux de sécurité dans lesquels ils coulissent.

On constate aussi que les hommes s’équipent en conséquence face à l’atmosphère fraîche qui sévit en mer.

 

Mon incroyable sortie dans la baignoire du U-637 !

Le mécano cloîtré dans son réduit bruyant que je suis devenu ignore tout de la navigation qui a lieu en surface.

Je savais que chaque tour de pale de l’hélice m’éloignait de mon pays natal et me rapprochait de la zone périlleuse des opérations. Voilà pratiquement cinq semaines que notre coursier métallique sillonne la finnische Bucht par grosse mer attisée par la bise polaire de ce mois de décembre 1944 qui n’en finit pas. Face à la tempête, nous avons garrotté les affaires, nous nous sommes harnachés au hamac pour ne pas être propulsés sur le voisin du bas, avec le nez planté dans une torpille !

Tandis que j’huile consciencieusement les roulements et que je graisse les paliers et autres soupapes frénétiques, ceci pour être en phase avec la répartition des tâches qui m’incombent par rapport à celles de mon taciturne collègue, je me fais comprendre par signes plutôt que par des cris au milieu des rotations qui moulinent sans fin l’arbre porte-hélices. Dehors les paquets de mer et de temps à autre les brisants s’écrasent comme des coups de bélier sur le bulbe du kiosque. Leurs vibrations se répandent en ondes sonores dans l’habitacle, les trépidations se trouvent encore démultipliées sous notre plafond bas.

Avec le dos bien calé au moteur bâbord, je suis assis sur une surélévation longeant la coursive, piédestal que je compare au manège des montagnes russes, car tel un yoyo qui suit la courbure déchaînée des vagues, j’épouse le même rythme que le mouvement des flots houleux et ce balancement lancinant prédispose au mal de mer qui rend patraque. Impossible de garder les pieds sur terre, ou de se maintenir sur les tôles grasses qui rendent votre démarche chaloupée au moindre déplacement !

Rester confiné des heures dans sa bulle forcée vous claquemure progressivement dans une atmosphère de neurasthénie, d’apathie mêlée d’angoisses car vous n’avez pas de sujet de dérivation pour vous meubler l’esprit. D’ailleurs, mon collègue, ours mal léché et muet comme une tombe, n’arrange pas les choses !

Je ne puis être qu’admiratif devant l’attitude des moines contemplatifs et autres cisterciens s’imposant une stricte règle de vie. J’en viens parfois à les envier, moi qui me sens ici plus proche de l’enfer que de la béatitude céleste. Oui, ces ermites qu’on suppose reclus dans leur cellule disposent d’un silence apaisant, psalmodient l’harmonie grégorienne qui se fait chant de communion, apprécient divinement la navette de leurs marches quotidiennes dans le déambulatoire de l’abbaye avec la lecture soutenue du bréviaire, le saut du lit dans la fraîcheur des vigiles, les trilles vespérales de l’alouette au-dessus du campanile, la culture des plantes médicinales dans le bleu alpestre, l’entretien des bâtiments extérieurs alors que je vis constamment avec 15 autres spartiates dans une salle de garde contraignante, pièce à tout faire du groupe. Nos yeux fatigués n’affichent aucune sérénité, voilés par l’appréhension d’une aube ténébreuse à venir que nous redoutions ne voir jamais arriver. Pas moyen de nous mettre au large du danger sournois qui rôde à flots lourds !

Mais figurez-vous que j’ai eu la chance, au retour de notre campagne victorieuse d’avoir pu monter dans la baignoire pour m’A-É-RER, m’oxygéner, boire la pluie, humer l’air marin pendant que l’U-Boot se boxait un chemin dans les ondes noires de la nuit. Etait-ce un geste de mansuétude de la part du commandant Riekeberg qui, en voyant ma face de carême se consumer (zehren) piteusement, m’a permis de me planter pendant pratiquement deux heures sur la plate-forme de la tour. Heureux comme un flétan épargné par les filets des pêcheurs de la Baltique !

Il m’a fallu m’habiller en conséquence avec un ciré normalement étanche que j’ai encore noué aux sorties des membres pour ne pas être saturé d’eau de mer.

 

Doté de mon grosswetter Seehund
Le 'grosswetter Seehund', gros temps de phoque ! Ici, c’est un habit imperméable enduit d’huile (terme de marin).
huilé, une serviette autour du cou pour éponger toute intrusion humide, je me croyais à l’abri de douches potentielles, un peu comme l’eau dégoulinant sans prise sur la plume du canard ! Muni de mon billet de sortie, je m’arrachai de l’échelle intérieure pour venir folâtrer dans la baignoire à l’espace bien réduit. Je purgeais avec délices mes poumons saturés, je me vidais le crâne de mes maux de tête, de mes vertiges et autres bourdonnements. J’expectorais pour ainsi dire le stress continu que chacun d’entre nous entretenait dans la Bête métallique où l’on ne se relâche jamais, toujours à l’écoute de la moindre défaillance. L’air du large semblait gommer mes inappétences, mon estomac rongé par les odeurs mazoutées retrouvait déjà ses pleines sensations. Les cris assommants des mouettes annonçaient la côte proche, les prairies d’algues ajoutaient à la féérie du moment.

 

 A notre avantage, cette période très pluvieuse perturbait le trafic aérien ennemi ; la couverture ouatée volant bas sur l’horizon nous cachait ainsi de l’adversaire. Je crois bien que ces deux données favorables m’ont permis cette heureuse sortie, en me faisant oublier mes soucis et mes inquiétudes concernant ma famille confrontée aux aléas de la Libération et dont je n’avais plus de nouvelles !

Ah, l’air libre ! Cet appel d’air apportait le bien-être, clarifiait les idées sombres. Du premier regard, je retrouvais le temps classique de la Baltique, la mer grise, le ciel gris roulant ses cumulus anthracite, ses écharpes de houle barbées de crêtes blanchâtres au moment où un clair de lune blafard perça l’éther. « Vigilance extrême » avait hurlé le ‘pitaine pour se faire entendre. Chacun sortit, pour ainsi dire, ses yeux des orbites et creusa l’obscurité au milieu du ronronnement des diésels.

Muets comme des carpes de mer, attentifs au DANGER pouvant survenir à tout instant, les veilleurs savaient que l’ennemi soviétique ne faisait pas de cadeau. Accrochés à leurs jumelles qu’il fallait nettoyer constamment, les vigies rêvaient après leur récent exploit à de nouvelles proies : cargo pansu ou gras tanker, qu’importait le navire !

Les nuages ventrus déversaient l’ire céleste en trombes sans fin sur mon ciré qui perdait progressivement son étanchéité huilée.

Pour ne pas nous laisser distraire par la brise qui dissipait le regard aux mines pernicieuses, même si notre U-Boot avait été enrobé d’un bourrelet antimagnétique, un Bohnenkaffee (grains de café) fut ramené en haut par le cuistot, heureux lui aussi de profiter de son escapade pour fuir ses casseroles. L’arôme et surtout le breuvage bien chaud fouettèrent derechef l’énergie visuelle des marins.

Oui, je remercie sincèrement le commandant de m’avoir permis cette place privilégiée, en or, dont j’ignorais les bienfaits (sur les 2 photos, on voit Riekeberg coiffé d’un bonnet de fourrure). Dans mon visage rougi fouetté par les embruns, ma barbe naissante perlait d’écume salée et moi je pleurais évidemment de reconnaissance.

 

Le commandant Schaeffer décrit lui aussi avec force les terribles épreuves que les équipages des submersibles devaient affronter pendant la période hivernale.

«Depuis quatre semaines, des vents de 100  à 110 kilomètres à l’heure soufflaient de toutes les directions, et la température se maintenait à peine au-dessus de zéro. Je me trouvais sur la passerelle, où il n’existait naturellement aucune protection, à part les parois d’acier glaciales, et où il était impossible de se réchauffer. Continuellement projeté contre la rambarde, je sentais le harnais de sécurité, un filin d’acier recouvert de cuir, s’enfoncer dans mes côtes. On savait que des officiers de quart, et des meilleurs, avaient été balayés par-dessus bord par la mer déchaînée. Il arriva que l’équipe assurant la relève sur le pont n’y trouvât plus âme qui vive!

La force des lames qui déferlaient sur nous était à présent réellement terrifiante. L’officier de quart ayant prévenu le veilleur de l’avant d’une énorme vague, tout le monde se recroquevilla et s’agrippa à tout ce qui se trouvait à portée pour encaisser le choc. Ce fut indescriptible. Des masses d’eau verte s’abattirent sur nous, nous aveuglant, emplissant nos oreilles, nos narines et nos bouches. Les imperméables, les bottes, les manteaux ne servaient vraiment pas à grand-chose: on avait beau fermer les ouvertures des vêtements, l’eau glacée pénétrait partout. Mes mains devenaient raides de froid, mais je n’en devais pas moins continuer à me servir de mes jumelles, car nous nous faisions un point d’honneur de ne rien laisser échapper, nous devions tout simplement rester constamment sur le qui-vive pour surveiller l’apparition de navires ou d’avions…. »

 

Lors de la montée du périscope, le moment du schnorchelage est toujours une rude épreuve. Pour échapper à la détection des radars et à l’aviation de patrouille maritime à long rayon d’action, il faut naviguer en plongée.

L’autonomie des moteurs électriques étant très limitée, la vitesse des sous-marins sous l’eau est réduite et il est nécessaire de recharger les batteries avec les moteurs diésel car il faut bien évacuer les gaz d’échappement et trouver de l’air frais pour les faire tourner. C’est alors qu’intervient le schnorchel ou tube d’air. Hissé à l’immersion périscopique, il permet à un sous-marin de faire fonctionner ses moteurs diésel, alimentant ces derniers en air sans avoir à faire surface, ceci pour ne pas être inutilement repéré.

Les moteurs diésel sont gourmands en oxygène. Si le flotteur commandant l’ouverture d’aspiration de l’air se trouve bloqué par la houle trop forte, les moteurs se sucrent au passage dans notre logis. L’air aspiré avidement par les moteurs nous oblige à puiser bouche grande ouverte l’atmosphère introuvable et à couvrir les oreilles de la paume des mains face au vide de l’air intérieur créé par l’aspiration.

 

2ème course dans la Mer de Norvège : (départ de Kiel le 5 avril 1945, arrivée à Stavanger le 13 avril).

Mon deuxième parcours marin sur le U-637 me retrouve le long des côtes norvégiennes que nous remontons jusqu’à Hammerjfest, pratiquement au cap Nord. Notre trajet consiste à faire la navette devant ce long ruban de côtes. Rien de spécial à signaler sinon la présence insidieuse d’avions anglais survolant les secteurs limitrophes à l’Ecosse que sont les îles Shetland et les Orcades.

A mon retour, je suis dirigé vers une formation de sous-officier à Lübeck.

Je rentre fin mai 1945 dans mes foyers.

 

Circonstances de la mort du Capitaine Wolfgang Riekeberg (avec 3 patrouilles à son actif et 67 jours de mission).

J’apprends par la suite que notre vieux Riekeberg est mort au combat (photos ci-contre).

Le 24 avril 1945, l’U-637 quitte Stavanger pour aller poser un barrage de mines (Minensperre) devant Newcastle en Angleterre. Le feu s’étant déclaré à bord du sous-marin alors qu’il se trouvait à 36 heures de son port d’attache norvégien, l’équipage put le maîtriser. Mais sur le chemin du retour, il est attaqué le 26 avril à l’aube.

Ce jour-là, l’U-Boot joua vraiment de malchance lorsqu’il brisa la surface de l’eau au moment où deux petits torpilleurs MTB (Motor-Torpedo-Boot) norvégiens revenaient d’une mission classique de surveillance et repartaient vers les îles Shetland.

Les ayant au préalable confondus avec des forces amies qui devaient se trouver là pour l’accompagner en toute sécurité vers la côte, le capitaine Riekeberg fit face aux MTB 711 et 723 près de l’île Utsira, située à l’ouest-sud-ouest du Hangesund.

Ces derniers ouvrirent les hostilités. Le MTB 711 tira deux torpilles d’une distance de 800 mètres qui filèrent à côté de leur objectif.

Le 723 envoya à son tour deux torpedos qui manquèrent également leur but. Le 637 répliqua et les MTB essayèrent de se rapprocher en lui lançant 4 charges creuses tout en tirant avec toutes leurs armes. L’U-637 tenta de leur échapper, filant ses 18 nœuds. Dans cette course de vitesse, quatre nouvelles charges furent lancées par le 711 qui endommagèrent gravement le 637.

Du haut de son kiosque, le capitaine Riekeberg et ses hommes, postés derrière le Vierling, tiraient crânement sur l’équipage du 711. Les deux bateaux étaient pratiquement bord à bord, 25 mètres de distance les séparaient à peine. Soudain on vit des flammes embraser le kiosque et en même temps on entendit une explosion à l’intérieur. Les MTB, s’approchant au plus près, balancèrent quatre grenades sous-marines qui détonèrent entre la tour et l’arrière du 637. Le sous-marin était maintenant hors de contrôle et, environné de flammes, semblait sombrer.

Le 711 perdit un homme (Jon Riis Sigurdson) et enregistra deux blessés.

Du côté allemand, le capitaine fut mortellement blessé à la face, (se blessa-t-il lui-même au visage dans le feu de l’action ? les avis divergent) et 7 autres membres de l’équipage furent tués
  • Mtr.Gfr Balke Erich,
  • Mtr.OGfr Becker Walter,
  • Mech.Gfr Feddersen Johannes,
  • Mtr.OGfr Gutschy Anton,
  • Masch.OGfr Kaufmann Kurt,
  • OBts.Mt Kohl Einrich,
  • Kptl Wolfgang Riekeberg

(enterrés au cimetière militaire de Trondheim-Havstein)

et

  • OMech.Mt Stenger Georg

balayé par-dessus bord, porté disparu (über Bord gespült).
dans l’attaque. Au bout de 25 minutes d’affrontement, les batteries côtières de Karmay et un chalutier volèrent au secours du U-637.

 

Constatant que l’U-Boot allait sans doute couler avec sa marche arrière enclenchée qui le laissait désemparé, les deux MTB baissèrent leur vitesse pour rallier leur base maritime à Lerwick, dans les Shetland. Assisté par les pêcheurs d’un chalutier, mais aussi par les équipages des UJ-1751 et UJ-1753 (appelés Unterseeboot-Jäger, chasseurs de sous-marins), le chef en second, l’ingénieur-chef, (Engineering Officer), l’Oberleutnant zur See Weber ramena le bateau à terre, à Ackrehavn, où l’on procéda sommairement à des réparations avant que l’esquif ne retourne à Stavanger le 28 avril.

L’équipage du U-637 déposa les armes le 8 Mai 1945 à Stavanger en Norvège. L’U-Boot fut ensuite ramené à Loch Ryan en Ecosse dans le cadre de l’Opération Deadlight (Lumière des morts). Avec d’autres prises de guerre, il fut coulé le 21 décembre 1945 par le HMS Bustler à l’exacte position 55°35’Nord et 07°46’ Ouest lors d’un remorquage groupé effectué par un temps de dégel.

 

Vedette rapide russe: le type BMO

Durant l’été 1943, les chantiers navals de Leningrad conçurent une nouvelle variante de vedette rapide pour remédier au manque de blindage équipant les précédentes MO-4.

La lettre "B" placée devant les initiales MO est l’abrégé de bronirovannyj = бронированный qui signifie blindé.

Le nouveau modèle de bateau fut construit en tôles d’acier, avec une armure épaisse de 12 mm pour mieux protéger le moteur.

On remplaça l’une des mitrailleuses de 45 mm par une arme à feu de 37 mm 70K plus performante dans sa réplique antiaérienne contre les avions.

48 modèles de ce type furent construits pendant la guerre ainsi que 18 autres dans la seconde moitié de 1945.