Joseph Lebon+

lebonJoseph01Le fait d’apprendre au détour de ce récit que j’ai été engagé comme volontaire français dans l’arme sous-marine allemande a de quoi vous interpeller ! Vous dire les motivations qui m’ont fait plonger dans le ventre gris acier de ces submersibles relèverait d’une très longue explication initiale. Disons, pour raccourcir les propos, que mon père était de nationalité allemande, que j’avais toujours rêvé dès ma tendre enfance de suivre les traces d’un Jules Verne partant avec son Nautilus arpenter les 20 000 lieues sous la mer ! Ce sont des images prégnantes qui s’incrustent dans votre cerveau de jouvenceau où les héros de l’époque avaient bercé mes rêves de futur preux chevalier.
Et puis, à partir du moment où le IIIème Reich avait annexé d’autorité l’Alsace-Moselle et englobé ses ressortissants comme d’authentiques Volksdeutsche à travers une germanisation attractive qui se voulait majestueuse pour un règne de mille ans, je me suis retrouvé malgré moi dans cette vaste communauté du Peuple promise à des lendemains radieux tant la supériorité germanique me semblait invincible face aux autres pays toujours en retard d’une guerre !
L’UFA (Universal Film Agentur) n’était pas de reste avec ses vibrants reportages ! Chants martiaux tonitruants à l’appui dans le générique, elle alimentait les fantasmes de l’opinion publique en liesse devant ces guerriers valeureux, prodiges, insubmersibles, qui avaient la capacité, comme Günther Prien, de frapper partout, en toute impunité. En effet, lors de sa troisième croisière, le jeune commandant parvint à réaliser un véritable exploit en pénétrant dans le port de Scapa Flow, un port imbriqué dans un ensemble d’îles constituant l’archipel du Mainland au nord de l’Ecosse, et considéré comme inviolable dans la mesure où deux sous-marins avaient échoué dans cette même tentative pendant la 1ère Guerre mondiale. Prien y coula le HMS Royal Oak de trois torpilles. Le navire sombra très rapidement, en emportant avec lui 833 hommes et son commandant, l’Amiral Blagrove. Accueilli avec son équipage comme un héros, reçu par le Führer, le Taureau de Scapa Flow disparut le 7 mars 1941 avec son U-47 qui fut sans doute victime de sa propre torpille défectueuse qui serait revenue sur le submersible, d’après la théorie du très expérimenté Kretschmer !
Verser dans une telle unité de prestige où Doenitz avait connu ses premières heures de gloire m’a fait franchir le premier pas. La Légion étrangère n’accueille-t-elle pas dans ses rangs une foule d’hommes venus d’horizons divers ? « Dans cette troupe d’élite, pour qu’un homme de rang y décroche la distinguée Légion d’Honneur, il faut que ce téméraire ramène sa tête dans sa musette ! » Pour ce faire, il lui faut donc suivre les ordres dans la fidélité à la parole donnée, en somme, savoir mourir bien dans la bravoure. L’amour de l’uniforme, les hauts-faits de gloire des émules du capitaine Danjou à Camerone, la discipline, l’endurance, la disponibilité et la rigueur continuent d’inciter la jeunesse mondiale à se frotter à l’Inconnu, à briller sur les théâtres d’opérations et à porter haut la grenade illustrant l’aura des régiments de paras étrangers. Eh bien, à l’image des grognards et des maréchaux de la Légion, j’ai rallié un centre de formation pour futurs sous-mariniers, à la recherche de la féérie des vents, des mers de rêves et de la Fortune sur les fragiles flots noirs écumant l’existence.
Celui qui attend que tout danger soit écarté pour mettre les voiles et ainsi gagner la terre ferme ne prendra jamais la mer !

Composition hétéroclite de l’équipage
Une propagande vantant les éminents mérites des adeptes modernes de Neptune tapissait les murs de ma ville et incitait les intrépides à revêtir la casaque de cuir et le suroît pour courir sus à l’Angleterre.
« …. Gib´ mir deine Hand, deine weiße Hand, leb’ wohl, mein Schatz, leb’ wohl, mein Schatz, leb’ wohl, denn wir fahren, denn wir fahren, denn wir fahren gegen Engelland, Engelland » serinait en continu la radio de propagande si chère à Goebbels.
Etions-nous ces Nazipiraten voués après-guerre aux gémonies ? Au contraire, nous étions un corps d’élite fier de ses traditions de bravoure! Face au régime totalitaire, chacun gardait au fond du cœur ses intimes convictions et s’extériorisait très peu sur le sujet. Je peux certifier que malgré nos vues idéologiques divergentes, le vivre-ensemble et le comportement général n’eurent pas à pâtir de notre état d’esprit solidaire face aux épreuves.
Les points de vue personnels enflammaient quelque peu l’ambiance à bord, mais ils étaient vite réglés et repassés à plat (glatt gebügelt) à travers l’esprit de tolérance et la chère discipline. Comme la vie à bord était corsetée jusque dans ses fondements métalliques, elle devait nécessairement trouver des soupapes pour évacuer la tension contenue : espiègleries, musique, tournois de jeux, piécettes de théâtre rythmaient la lente marche du vaisseau.
La mère de Paul Ackermann était d’ascendance russe, E. Lang était Roumain d’origine.
Moi-même, Lorrain de naissance donc Français, j’étais devenu à cette époque, malgré moi, un transfrontalier allemand, ein Grenzdeutscher. Le dénommé Bunzel obtint son autorisation de mariage alors que le père de sa future épouse fut exécuté en 1943 comme ayant été un chef communiste. Le père de Dornseifer fut assassiné par trois S. A . Graykass provenait d’une famille communiste établie à Berlin-Neuköln. Johansen, Bernauer et les Autrichiens Vass et Regner et d’autres distillaient toujours leur pointe d’ironie contre Hitler.
lebonJoseph02Ce fieffé Ernst Vass (photo ci-jointe), le boute-en-train du Tyrol, avait même osé lors d’une fête organisée à bord de notre U-1221, sous le commandement du lieutenant de vaisseau Karl Kölzer, déclamer sa poésie personnelle pleine de piques acérées contre le régime hitlérien.
Un peu à la façon des 10 petits nègres qui disparaissent dans le roman d’Agatha Christie, voici ce qu’il écrivit sur les 10 petits râleurs (Meckerlein) assis ensemble à siroter leur verre de vin.
L’un se prit pour Göggels, les voilà seulement 9. Ces 9 râleurs s’étant exprimés sans ambages, l’un d’ailleurs plus énergiquement que les autres, ils furent encore 8. Ces huit petits râleurs écrivirent des libelles. Dans leurs maisons, des pamphlets furent trouvés, comportant des ragots, des propos désobligeants sur les Pimpf , des airs de piano de Félix Mendelssohn travestis en diatribes satiriques, des prophéties antiallemandes, des déclarations publiques séditieuses et défaitistes, des contre-propagandes marxistes, l’abjection du Mythe de Rosenberg et même des portraits-pastiches tournant en ridicule les hiérarques du régime. C’est ainsi que l’un après l’autre, ces petits effrontés disparurent de la scène publique ! Le dernier petit Meckerlein fit voir sa poésie subversive, on le ramena également à Dachau. Où les voilà à nouveau 10 !
Affectés auprès de la 4. Flottille établie à Stettin, le commandant Paul Ackermann et l’enseigne de vaisseau Detlev Greve se souviennent qu’en juillet 1943, des Waffen S.S. étaient venus leur rendre visite pour les convaincre de créer une Marine S.S. « Pour espérer réussir la première démarche d’une telle création, le Reichsführer des S.S. Himmler devait en prendre le parrainage (Patenschaft übernehmen). Rien de concret n’aboutit d’ailleurs. Heureusement pour nous ! »

Bon cheval de trompette ne s’effraie pas du bruit du canon !
On ne s’improvise pas sous-marinier. On le devient par les tripes, le cœur et l’esprit car le sous-marin est un monde à part ! Il faut arriver à se forger un courage hors du commun ! Les mineurs avaient compris que pour appréhender la terreur du trou noir sans rien laisser paraître de l’effroi vécu quotidiennement, il fallait immerger la jeune gueule-noire dans un processus d’initiation et de maîtrise-de-soi pour appréhender sans crainte cette périlleuse profession. Le novice passait par le stade du criblage où il lui fallait trier le charbon convoyé par la bande transporteuse ramenant le minerai au jour, évacuer les schistes stériles qui s’y trouvaient, sous l’œil sévère d’un blessé réformé du fond qui n’hésitait pas à distribuer quelques coups de pied bien ajustés au derrière, histoire de bien se faire respecter ! Le néophyte se frottait ensuite au savoir-faire du piqueur et aux coups de gueule du moniteur-boutefeu dans la mine-image qui recréait à l’identique les différentes tailles qu’il allait retrouver plus tard en sous-sol. Boiser les veines de houille, tailler des gorges-de-loup, pelleter des montagnes de charbon sur le convoyeur blindé, passer dans le ventre du tubing, en étant lourdement chargé d’outils, variaient les diverses étapes de sa future implication. Les soirées récréatives auprès des pensionnés, les trajets en train vers les puits de mines, les tragédies et la série d’accidents mortels souvent occasionnées dans les dressants alertaient à bon escient l’apprenti sur les dangers encourus. Descendre avec le poste de nuit, ne pas tomber de fatigue dans la moiteur des galeries, remonter fourbu en rencontrant l’équipe suivante à qui vous donniez les consignes de sécurité et le nombre de mètres de piliers de bois (Holtz) que vous aviez installés forgeaient l’esprit de solidarité du galibot et son accoutumance progressive à cette sinistre atmosphère souterraine où chaque craquement et pression sur le toit pouvaient prêter à conséquence ! Copiant la manière probante des quartiers-écoles des Houillères, l’arme-sous-marine qui relevait de la Kriegsmarine avait compris l’impérieuse nécessité de plonger à tout crin les jeunes matelots dans le bain submersible : les trempettes qui allaient faire sa renommée !

lebonJoseph03Apprenti de la mer avec ses rêves douchés !
Il y a loin de la coupe aux lèvres si l’on croit qu’il suffit de s’inscrire dans une unité d’U-Boot Flottillen pour mériter le titre envié de sous-marinier ! La toute première impression, en descendant dans un U-Boot c’est d’éprouver une sensation affreuse d’étouffement. On est gagné par un sentiment de cécité, comme si l’on ne voyait pas plus loin que son bout de nez. La remarque instantanée qui vient à l’esprit, c’est de se dire combien de temps va-t-on pouvoir tenir le coup dans cette boîte ? Comment se plier à la vie commune, obéir sans discuter ? Comment conserver l’enthousiasme d’un terrestre dans un monde si inamical, comment tuer le temps dans cette galère ? A Dieu va dans ce TUBE !
Voué au danger permanent, il faut savoir s’interdire la peur, la dominer. En fait, il y a mille formes de peur enclenchées par les signaux de détresse, d’urgence ou de sécurité que peuvent émettre à chaque seconde les centaines d’appareils installés à bord d’autant plus que les bruits piégés, oppressants, grinçants, craquants se trouvent amplifiés dans notre caisse de résonance ! Rien que de visualiser l’arbre-de-Noël avec ses nombreuses vannes que le chef-ingénieur ne quitte jamais des yeux lors d’une plongée peut mettre votre palpitant dans les pires émois ! Suite au verrouillage effectué en un tour de main par les mains expertes du veilleur de quart, le spécialiste-du-plongeon qu’est le L.I. apprend que toutes les ouvertures d’air comprimé sont fermées pour laisser l’eau de mer noyer les ballasts. Les ordres suivants dégagent d’avant en arrière les purges (Flutklappen) amenant ainsi l’eau dans les ballasts (Tauchzellen) qui alourdiront le submersible. On va plonger !
Savoir qu’à 100 mètres de profondeur, une masse de 100 tonnes de pression s’exerce sur 1 m² de tôle de 3 cm d’épaisseur vous donne la pénible impression que ressent un spéléologue rampant dans des galeries et qu’une simple secousse terrestre pourrait écrabouiller sans porte de sortie ou de rémission possible ! La coque va-t-elle tenir ? Le cœur s’emballe, semble s’arrêter, tétanisé de panique. Les ouï-dire des rescapés des bains forcés dans la Baltique ravivent votre appréhension d’être englouti, aspiré à jamais dans les abysses. Ces gars-là n’avaient pas leur pareil pour amplifier leur bravoure et rajouter, durant les soirées festives, des anecdotes NOIRES sur leur sauvetage miraculeux. La nuit, surtout durant les premières semaines de plongée, ces rêves vous plongent dans la terreur. Sous l’effet des charges profondes, votre bateau vous malmène, vous secoue.
La lumière s’éteint sous les effets de détonations monstrueuses ; le ronronnement des machines, relaxant voilà peu, toussote dans la foulée sous les éclairs phosphorescents des fils de cuivre qui fondent et éclatent en gerbes d’étincelles asphyxiantes. Dans le noir où grésillent les inquiétants courts-circuits occasionnés par des cosses encrassées d’oxyde de cuivre générant le gaz mortel, le moussaillon que vous êtes dégringole, fébrile, de sa couchette, cherche dans un état second sa veste de survie, se prend les pieds dans les pattes des voisins terrifiés. Ce tableau d’effroi qui a saisi l’équipage et que la déraison affole, c’est un peu la transposition d’une fourmilière en ébullition face au saccage qu’entreprend un blaireau enragé !
Les séries de bombes, en fissurant l’une des plaques dont la porosité liée à une soudure mal combinée a échappé au contrôle des radiographies, écartèlent un joint de brasure sur plus d’un mètre . La gerbe d’eau monstrueuse s’engouffre en jets féroces dans la salle arrière. Pendant ce temps, chaque homme veut passer en force dans ce mini raz-de-marée qui bouillonne comme un volcan en ébullition, en arrachant tout ce qui n’est pas vissé sur son passage. Et vous constatez, horreur, que l’eau monte, submerge à vitesse folle les moteurs qui s’étouffent et s’arrêtent. Les plus loups escaladent la tourelle tandis que l’eau embarquée alourdit puis déséquilibre le submersible qui descend, descend, descend comme dans un mauvais cauchemar qui vous fait hurler de terreur dans le dortoir des mousses. Mes mauvais songes ont encore eu des visions morbides engendrées par cette damnée Bedrullje , cette mouise comme la qualifiaient les terre-neuvas aux temps héroïques de la pêche pratiquée dans leurs doris, où ils harponnaient les morues dans des conditions météo très difficiles, dans le froid et l’humidité, dans la brume, les tempêtes ou lors de rencontres avec des icebergs.
Nous aussi, quelque part, allions devenir de pauvres Jonas modernes absorbés par notre baleine d’acier !

« L’homme se découvre quand il se mesure à l’obstacle ! » Antoine de Saint-Exupéry.
J’avais opté pour cet engagement périlleux, il me fallait maintenant serrer les fesses, tenir le coup et vivre en vrai marin. Mes premiers pas de sous-marinier, je les ai effectués dans une U.L.D (Unterseeboot-Lehr-Division, division d’entraînement) où l’on vous initie à devoir assurer, dans votre domaine de compétences, le contrôle complet de manœuvres dites simples que vous serez astreint à exercer plus tard sur le bateau . Le Schiffsjunge (mousse) n’échappe pas à une forme de bizutage que tout néophyte appréhende de la part des anciens, passés maîtres dans l’art de vous gruger, de leur ramener par exemple la lime à épaissir le métal (sic), un seau de vapeur ou le bac récupérateur de chutes de tension. L’attrape-nigaud classique consiste à vous envoyer nourrir le cochon élevé dans la soute. Souriant, vous ne voulez pas tomber dans un panneau aussi grossier. Mais le doyen, avec son air sérieux de Sage, explique aux bleubites que le scorbut qui rôde faute de vitamines fraîches ne se soigne qu’avec des animaux vivants, embarqués à bord comme au temps des caravelles de Columbus ! Muni de la seule blouse (Kittel) disponible, et comme par hasard imprégnée de cambouis ! le naïf grugé qui s’est laissé embarquer dans ces balivernes descend dans les tréfonds de la soute chercher le Kielschwein pour le nourrir (füttern). L’ancien, toujours aussi attentionné, dirige de loin le crédule avec sa lampe électrique dans le dédale inextricable des parois cloisonnées de la quille (Kiel) où crèchent les batteries, au-dessus d’une eau putride, si appropriée pour le goret qu’il peine à découvrir. « Cherche, cherche bien. L’animal est devenu sourd et aveugle, tu le sais bien, comme les chevaux d’antan attelés aux wagonnets au fond de la mine. Appelle très fort Glouton, tu verras, la bête viendra te réclamer les épluchures. » Entre nous, ce Leichtmatrose naïf et léger n’a pas été sélectionné !
De multiples épreuves formatrices attendent l’émule avant qu’il ne puisse briguer une place dans un sous-marin. Dans mon Soldbuch, les renseignements indiquent ma qualité de Schüler (étudiant), je mesure 1,67 m, je suis de taille mince, au visage ovale, aux cheveux sombres et aux yeux bleu-gris, de groupe sanguin AB.
Je ne porte ni barbe ni lunettes, je chausse du 41. Enregistré puis inscrit officiellement dans les rôles de la marine dans la Stamm Marinenteil à Neustadt dans le Holstein, je figure ensuite, après mon engagement dans le Personal U-Boot Stabs Abteilung sous le code UN 27681/415.

lebonJoseph04Esprit d’union ! Soudés dans la vie comme dans la mort !
J’ai commencé une formation initiale de base sur le Schulboot U-48 basé à Pillau dans la 21ème Schulflottille du 1er août 1942 au 12 juillet 1943, en suivant, en cours de session, une spécialisation auprès de l’U-Ausbildungs-Abteilung (flottille d’entraînement) à Ploen dans l’école de pilotage (Steuermanns Schule), avec un stage pratique sur le sujet au Stützpunkt de Libau (base d’escale) du 25 avril au 10 mai 1943. J’ai aussi participé à la construction (Kriegsschiffbau) du U-1221 dans le U-Bootswerft (chantier de construction) de Hamburg Finkenwerder.
Certains de nos formateurs étaient de jeunes officiers de garde (I WO, II WO) qui avaient une ou deux croisières à l’ennemi à leur actif. Ils étaient coopératifs, abordables, sans rigueur excessive, peu enclins à lustrer les bottes du régime nazi et cela se sentait à leur attitude un peu rebelle. Gardaient-ils cet esprit vaguement contestataire de leurs aînés, accusés d’avoir été à l’origine des mutineries qui avaient conduit à la défaite du kaiser en novembre 1918 ? D’ailleurs ce reproche les chagrinait beaucoup, surtout les vieux loups-de-mer (Seebär) ou le peu de vétérans patriarches qui en restait, d’être considérés à tort comme de nouveaux mutins en perspective. Gardant la tête sur leurs épaules, réfléchis, décontractés, calmes et pleins de retenue, ils cherchaient à nous dupliquer ces valeurs en notre for intérieur. « Dans un espace confiné, il n’y a pas de place pour les écervelés ! » Le diable se niche dans les moindres détails ! Der Teufel steckt im Detail ! Cette formule-choc utilisée par l’un de nos plus brillants instructeurs nous rappelait que chaque détail dans un U-Boot compte, que les plus petites choses qui apparaissent insignifiantes pour un mécano négligent importent autant que les sempiternels gestes du barreur assis devant son volant (Steuerrad), -qui pouvait aussi être un bouton-poussoir (Druckknopfschalter) sur des sous-marins plus modernes- avec lequel il dirige les barres ! « Vous ne devez rien négliger. Les nécessités de l’attention et de la vigilance sont primordiales, les suites funestes ne peuvent découler que de la négligence ! »
Il nous rappelait donc, suite aux accidents domestiques ayant eu lieu à bord des sous-marins, de corriger nos imperfections et d’être PRESENTS à nos tâches pour assurer la parfaite maîtrise des engins dont nous avions le contrôle. « Passez tous vos équipements en revue ! Ne vous croyez pas quitte à si bon compte ! Nautoniers appliqués, conservez-moi ce bateau comme la prunelle de vos yeux ! Je veux de l’excellence !»
Pour pouvoir disposer de la meilleure recrue à sa vraie place à bord, der richtige Mann am richtigen Platz ! les gradés cherchaient à détecter les points faibles des matelots afin de ne garder que les plus performants face à la surabondance et à la complexité des engagements très nombreux encore à l’époque. « ’raus pour les minables et les mauviettes! La faiblesse patente de l’un se répercutera sur l’ensemble de l’équipage. Vous êtes une Manschaft qui doit être soudée, impitoyable. En cas de détresse, le maillon faible qui saute vous entraînera tous dans la catastrophe ! Nous devons tous être au top niveau, sourcilleux comme l’espion de haut-vol, au service du Vaterland, qui ne laisse rien à l’improvisation mais qui agit dans l’ordre et la réflexion suprême.»
Alors, avant d’être reconnu comme apte à servir vraiment à bord, chaque homme se fondait dans l’univers particulier du monde subaquatique en cherchant à le dominer pour être le meilleur du lot ! Il fallait être capable de faire tout ce que la hiérarchie vous demandait, sans le moindre froncement interrogateur de sourcil. « Faut pas chercher à comprendre ! Le chef a toujours dix mille fois raison ! Les cadets sont nés pour obéir ! »
lebonJoseph05Le plan des services à bord s’appelait la « routine ». Car, dans la conduite des activités sous-marines, la Routine à la teutonne versait dans le sérieux absolu, loin du sens laxiste actuel. Devenus durs à la tâche, nous étions simplement englobés ensemble dans une forme d’inclusion uniformisée aux gestes journaliers répétitifs, mais dont les automatismes, tous bien accordés, étaient connus sur le bout des doigts et ancrés à jamais dans notre subconscient !
Le premier exercice d’évacuation (à Gotenhafen) était certainement l’une des épreuves d’initiation qui mettait le plus les nerfs à rude épreuve. Dans un caisson de simulation circulaire, représentant à l’identique le ventre d’un sous-marin, l’équipage se retrouvait dans un cylindre en attendant la fermeture du sas d’entrée et l’ouverture de la vanne d’amenée d’eau qui remplissait rapidement l’habitacle. Sur la photo, on distingue le commandant Karl Kölzer, notre 1er capitaine, coiffé de sa casquette blanche, apparaissant l’air très tendu.
Les hommes étaient dotés d’un appareil de respiration, spécialement conçu pour les sous-mariniers, le Tauchretter. Cet appareil respiratoire de sauvetage et d’évacuation pour équipage de sous-marin, fabriqué par la marque Dräger, était composé d’une enveloppe gonflable, d’une mini-bouteille remplie de gaz sous pression pour le gonflement de la brassière et d’un embout respiratoire glissé dans la bouche et branché sur la cartouche d’épuration accueillant l’air expiré.
Nez pincé par une Klammer (agrafe) surmonté de lunettes étanches, le tube en bouche, le matelot inspirait l’oxygène provenant du filtre purificateur accroché à la ceinture (gaz vital qu’il fallait parcimonieusement économiser).
L’expiration refaisait le sens inverse par le même tuyau qui ramenait l’air vicié sur une Kalipatrone épuratrice (composée de chaux sodée) d’où il ressortait expurgé du CO² (gaz carbonique) et devenait à nouveau utilisable.
L’eau atteignait rapidement la voussure de la chambre immergée mais l’air interne compressé empêchait le remplissage liquide intégral.
lebonJoseph06Il fallait attendre le Druckgleich (pression équilibrée), la tête hors de l’eau pour les plus grands, les plus petits étant accrochés aux vannes et aux tuyaux courant le long de la voûte.
A l’ouverture du panneau d’évacuation dans le Tauchtopf, silo cylindrique vertical, alors que j’étais immergé avec d’autres cobayes à moins 8 mètres, il s’agissait d’appliquer à la perfection les consignes draconiennes.
La pression n’était que 0,8 kg par cm². L’évacuation se déroulait à ce niveau sans problème. Mais que dire d’une avarie qui bloquerait le submersible à moins soixante-dix mètres ? « Il faut expirer pour survivre. Vos poumons, vous n’arriverez jamais à les vider complètement ! Chassez au maximum l’air contenu dans la poitrine au moment de la remontée vertigineuse sinon les membranes de vos oreilles vont se déchirer sous la pression ou pire, puisqu’il n’y a pas de paliers de décompression du fait de la pression qui vous éjecte comme une balle de ping-pong vers la surface, vos poumons ne vont pas pouvoir encaisser le choc et vous risquez la syncope toujours fatale en mer », nous commentait l’instructeur. « Prions le Tout Puissant pour que pareil malheur ne nous submerge pas ! » pensé-je en m’agrippant au rebord du bassin. Une bouée qu’on pouvait libérer de l’intérieur du kiosque, en cas de naufrage pas trop profond, était destinée à remonter à la surface, histoire de localiser l’épave et faire intervenir les secours en surface.
Piètre consolation, car si d’aventure un jour je devais être confronté à ce malheur, je n’ose en imaginer plus avant l’horrible destin qui noierait à jamais ma courte vie ! Je relaterai dans un autre chapitre les récits de certains heureux rescapés qui bénéficièrent de chances incroyables pour s’extirper de leur cercueil d’acier. Et malgré les risques mortels encourus, des gars intrépides risquèrent leur vie jusqu’à la fin de la guerre dans une lutte inégale où le chasseur sur mer était devenu bêtement le gibier d’eau !
J’optais pour la BootsmannLaufbahn I, la carrière de matelots, subdivisée en plusieurs spécialités : Rudergänger, Steuermanngast und Brückewache, c’est-à-dire, barreur, hôte-timonier (poste dans lequel je remplacerai en cas de défection le responsable attitré) et vigie pour des quarts de surveillance à la passerelle (Brücke).
Les exercices de vérification et de consolidation des acquis qu’on avait choisis de suivre étaient passés au crible fin. Je connaissais mes différents rôles sur le bout des doigts ! Des formations complémentaires avaient lieu pour parfaire la natation, pour consolider les exercices d’évacuation avec gilet de sauvetage, pour savoir réguler les vannes avec leur pression d’équilibrage, pour s’exercer au secourisme, etc…..
Chacun dans son domaine de compétences était testé sur ses capacités de base : pour les uns, c’était le morse, pour d’autres la transmission parfaite des signaux optiques et gestuels (blinken).
Le Matrosegefreiter E. Lang affecté à la Brückewache était également Signalgast. Ainsi, lors d’un contact à vue avec un navire de surface, il lui adressait différents messages formulés par le commandant, grâce au maniement adroit de pavillons de différentes couleurs (Winkeralphabet). Le fanion Blau Peter annonçait un départ en haute mer dans les 24 heures. Pour les techniciens diésélistes et les électriciens, le matériel de formation incluait la connaissance complète des moteurs afin de pouvoir procéder aux réparations lors de constatations d’avaries.
lebonJoseph07La maîtrise des graphiques leur permettait d’établir des estimatifs ou mieux encore des diagnostics des charges encore disponibles sur les batteries. Les torpilleurs recevaient une formation détaillée du système de mise à feu des tubes lance-torpilles, (je reviendrai sur le sujet).
Avons-nous été des bagnards dans ces sarcophages ? Il n’y a pas de comparaison possible avec les croisières de luxe actuelles ou les jolies sorties de canoë d’antan ! Nous étions à plus d’un titre des condamnés en puissance de la maudite mer !
Le manque d’hygiène, l’utilisation élastique des toilettes que vous souhaitiez ne pas être occupées lorsque l’envie vous pressait, l’inconfort, le rien pour toi, le tous pour un, la lumière artificielle, le danger permanent complétaient cette infernale vie-de-château. Pour sourire de la vie dans ce coursier-de-la-mer, il fallait instaurer une confiance mutuelle et faire bloc en tenant fermement les rênes manœuvrières. Jour et nuit se confondent dans cet univers étouffant que les bruits extérieurs rendent encore plus glauques.
Pas d’intimité ! Votre couche douteuse faite de draps sales et humides sert de repli toutes les 4 heures à votre remplaçant de quart qui s’affale dans le hamac chaleureux, devenant à la longue une litière imprégnée de crasse sans nom. On peut difficilement dormir certaines nuits : le stress du jour précédent vous triture l’esprit. Vous repensez aux charges de profondeur de la veille dans les eaux côtières, où les copains ont fait preuve d’un calme olympien dans leur tenue de cuir gris, attitude posée qui ne renferme ni fanatisme ni fatalité. C’est plutôt un devoir de foi extrême (eine gläubige Hingabe) alors qu’aujourd’hui patriotisme et don de sacrifice jusqu’à la mort n’empruntent plus le même vocabulaire suranné !
Vivre à l’étroit conduisait parfois certains camarades à adopter l’attitude du dogue à l’humeur renfrognée, bête invivable, qu’une mouche avait subitement piquée ! Surtout ne pas montrer ses crocs, sinon démarrait le déballage de propos méprisants, au pire un crêpage de tignasses qui n’alourdirait que davantage encore l’ambiance déjà bien électrique ! Cela s’appelait anschnauzen, avoir le coup-de-gueule !
Et c’est là qu’intervenait tel ou tel fin psychologue pour détendre l’animosité explosive et dérider l’atmosphère au couteau engendrée dans notre cloître de rétention par les mille gestes assommants, toujours les mêmes, si barbants parce que manœuvrés rituellement et sans arrêt ! De quoi lasser et rebuter les plus résistants !
Une plaisanterie fusait alors pour mettre en boîte le dénommé x, qualifié de Wetterprophet puisque le gars, perclus de courbatures et de rhumatismes ou de cors au pied, annonçait à l’avance le changement de temps !
Les surnoms ne manquaient pas et faisaient l’objet de quelques grasses moqueries (cf. journal de bord).

Fin juillet 1943, avant la mise en service officielle du U-1221, notre équipage incomplet , parti de Hamburg sous les ordres du commandant Kölzer rallia la 1. U.A.A (U-Boot Ausbildungs Abteilung) en voyageant par voie ferrée jusqu’à Ploen. Dans le même temps, quelques techniciens partirent consolider leurs acquis à Dantzig. Après les terribles bombardements du 24 au 30 juillet 1943 sur Hamburg, notre bateau y fut bloqué à cause de l’ouragan de feu que les Alliés avaient déversé sur la ville. Les chauffeurs diésélistes furent rappelés de Dantzig.
Et après avoir passé deux jours à Ploen, l’équipage recomposé à la hâte rejoignit l’U-Bunker de Hamburg Finkenwerder (Fink II) via Altona en camion. Au vu des fumées toxiques dégagées par l’incendie monstre dans l’agglomération lourdement sinistrée, quelques gars de l’équipage furent impliqués avec leur Tauchretter pour aller extraire hors des décombres les civils tués, tous plus ou moins carbonisés par les flammes. Pendant des jours, nous n’avons plus obtenu d’eau potable dans le U-Bunker si bien que nous avons été obligés de laver nos effets dans l’Elbe et de boire son eau. Notre Obersteuermann Baudler fut victime d’une grave maladie de peau (Hautauschlag).
Rappelons que les bombardiers alliés avaient attaqué, durant cette semaine infernale étalée du 24 au 30 juillet 1943 (6 fois de nuit et 2 fois de jour), la ville de Hamburg en formations serrées.
Dans la chronique du XXème siècle, V. Karenberg mentionne le déversement de 2 000 grosses bombes, de 50 000 engins incendiaires, de cent mille obus déflagrants, de 80 000 explosifs et de 5 000 containers de phosphore.
Il s’ensuivit un ouragan de feu dont l’aspiration cataclysmique contraignit la population qui fuyait à revenir sur ses pas. Erreur fatale ! Parmi les 30 000 victimes figuraient 5 500 enfants.
Dix jours après ces faits dramatiques, notre U-Boot 1221 entra en service (Indienststellung, cérémonie d’entrée en service) avec fanfare, foule silencieuse portant le deuil, couleurs hissées, hommes au garde-à-vous, discours.

En 1943, furent fabriqués 290 sous-marins dont 245 furent perdus par destruction ennemie ou par pannes, accidents ou avaries. Obnubilés par les succès initiaux, certains commandants-formateurs nous plongeaient dans les mirages factices et triomphalistes papillonnant dans la jungle aquatique où seuls les plus forts et les plus déterminés, claironnaient-ils, allaient faire triompher la noble cause du régime. Mais échaudés par les revers et la superpuissance des Alliés, beaucoup dont moi-même les avons suspectés de nous mener en bateau.
lebonJoseph08La prolongation d’un 2ème semestre d’entraînement liée à l’arrivée de notre nouveau capitaine, Paul Ackermann, nous a tirés certainement d’un mauvais pas ! A l’issue de cet entraînement, 7 de nos camarades, dont le boute-en-train Ernst Vass, débarquèrent leur barda devant l’épreuve (vor der Feindfahrt ausgestiegen). Et pourtant qui mieux que Vass, scaphandrier et champion du plongeon, savait à ce point maîtriser l’élément marin et qui s’est pourtant faufilé par couardise devant l’épreuve ?
Posé sur la quille le 2 mai 1943, notre sous-marin fut étrenné solennellement le 11 août 1943. Fabriqué sous le numéro de construction Bau-Nummer 384, le U-1221, de facture plus moderne que les IX-C classiques, était le 1er d’une série de 15 submersibles construits par le Deutsche Werft à Hamburg Finkenwerder.
Pour différencier le nombre de sous-marins constituant une commande (15 concernaient notre série du type IX-C 40), l’OKM/K-Amt (Haut-Commandement de la marine/Division de la construction navale) sous la férule de l’OKM/SKL (Oberkommando der Marine-Seekriegsleitung ou Haut-Commandement de la Marine-Direction de la guerre navale) avait instauré le symbole des cartes à jouer, (trèfle, pique, cœur, carreau), ce qui permettait très vite d’identifier et de visualiser les submersibles au travers de leurs signes particuliers. Pour d’autres séries de bâtiments, ce seront la sphère, le cône, le cylindre ou le sablier qui serviront d’identification. Par ailleurs, un code couleur (blanc, noir, rouge) distinguait les chantiers navals entre eux. La marque U.A.K. (U-Boot Abnahme-Kommando, commission d’essais et de réception des sous-marins) peinte des deux côtés du massif du kiosque y restait du lancement jusqu’à la réussite de l’équipage aux essais de réception définitive (notre trèfle fut ensuite masqué par une teinte de camouflage nuancée dans le gris foncé). L’U-1221 avait été précédé des modèles IX-A-B-C et amélioré avec un kiosque rallongé et avec la mise en service du schnorchel en été 1944. Ci-dessus, une photo explicite du U-889 nous fait découvrir les installations extérieures du pont, le schnorchel étant rabaissé.
L’étendue du bâtiment était de 76,76 m hors tout, sa largeur 4,44 m, son diamètre ou maître-bau mesurait 6,76 m, sa hauteur plafonnait à 9,50 m (avec un tirant d’eau de 4,67 m).
La longueur des ballasts métrait précisément 58,75 m.
Ce submersible pouvait plonger en 35-43 secondes à 40 mètres de profondeur. Jusqu’au printemps 1944, son armement se composait d’un canon 105 SKC/35 de 180 coups et d’un canon antiaérien Vierling Flak 2 cm.
On les remplaça ensuite par 2 affûts doubles Flak 20 mm (8 100 coups) installés sur la plate-forme supérieure et par 1 canon Flak 3,7 cm (2 625 tirs) sur le Wintergarten, la plate-forme inférieure.
Possédant 6 tubes lance-torpilles (4 à l’avant et 2 à l’arrière) avec une provision de 22 torpilles (ou 66 mines), il embarquait 214 tonnes de gazole.
La profondeur testée était de 180 mètres, (maxi : 230 mètres). Les U-Boote de ce format emportaient pour une croisière de 120 jours environ 6 tonnes de vivres. Le déplacement d’eau d’un tel engin se chiffrait à 1 144 m³ sur les flots, à 1 257 m³ sous l’eau. La protection était assurée par une double membrane, une coque extérieure plus fine que la coque intérieure, faites avec un acier particulièrement extensible et résistant dont la robustesse était à mettre à l’honneur et au renom de l’architecture navale allemande. Les Alliés utilisèrent le Torflex, un explosif puissant, pour mieux en venir à bout.

Le IX C-40 disposait de 2 systèmes de propulsion :
- en surface, de 2 moteurs diésels (de 2 fois 2 200 cv MAN),
- en plongée de 2 E-Maschine, moteurs électriques de 500 ps alimentés par des batteries d’un poids de 60 tonnes.
La vitesse maxi en surface était de 18,3 nœuds, sous l’eau de 7,3 nœuds. Le rayon d’action (Aktionsradius) était de 25 650 km soit 13 850 nautiques à une vitesse maîtrisée à 10 nœuds en réglant au mieux la consommation.
Cette distance s’abaissait à 9 445 km si l’on marchait à toute vitesse. Sous l’eau, il était possible d’effectuer 237 km par jour (ou 128 nautiques parcourus à 2 nœuds/heure), la distance se réduisait à 63 milles/jour à 4 nœuds.
Après les épreuves de parfaite navigabilité du submersible sur mer et son équipement testé et contrôlé, le coût de la construction de notre U-Boot s’élevait à 7,1 millions de marks, somme qui en faisait une arme de guerre très rentable au niveau efficacité/tonnage à couler/fixation de l’ennemi/effectif réduit.
Durant notre instruction pour la partie théorique, puis lors de notre familiarisation avec le bateau, nous avons lié connaissance avec le groupe folklorique Finkwarder Speeldeel de la banlieue de Hamburg.
Cette troupe folklorique, en habits blancs et rouges, était très connue avec ses chants en patois nord-allemand dans un répertoire mêlant danses, chorales, romances, sketchs dont tout Allemand digne de ce nom est friand.
En nous rendant visite, la troupe a pu visiter le bateau lors de notre temps de formation pratique à Gotenhafen, lieu d’implantation de notre flottille d’école.
lebonJoseph09Lors de notre retour (après nos deux périples en Mer Baltique) nous fûmes accueillis avec enthousiasme à Hamburg où nous avons pu très souvent renouer contact avec la joviale chorale.
Cette fidélité fut poursuivie durant les travaux de finition et de mise en route à Finkenwerder.
Durant notre séjour à Fink II, notre bateau, dénommé V. 61, était basé dans le bunker à l’épreuve des bombes. A la même période séjournaient chez nous des marins japonais. Quelques-uns furent formés sur notre bateau et participèrent à des manœuvres sur l’Elbe. Plus tard, ils prirent possession du U-1224 (cf. tableau des U-Boote de la même série que le nôtre) et le dénommèrent R.O. 501. Sur le trajet les ramenant au Japon, il fut coulé au Nord-Ouest du Cap-Vert par un destroyer U.S . le 13 mai 1944. De juillet jusqu’à la mise en service solennelle le 11 août 1943, hommes et sous-officiers vécurent dans le camp de baraques dépendant de la 3ème B.L.K. (Bau Lehr Kompanie) à Finkenwerder. Les officiers logèrent sur le Bäderdampfer Warmon. Durant ce temps, provenant de toutes les directions, l’équipage allait s’étoffer en conséquence.
L’équipage comportait initialement 48 hommes. Au printemps 1944, il va passer à 54 hommes, puis lors de la course à l’ennemi à 56 gars qui se partageaient les quelque 50 mètres de longueur de ce tube d’acier.
Ah ! Si l’on savait pouvoir disposer d’autant de place éternelle au Paradis, qui pourrait s’en plaindre !
S’y trouvaient 6 officiers :
a) Commandant : Lieutenant de vaisseau 1ère classe (Oberleutnant zur See) Karl Kölzer, puis Paul Ackermann.
b) Bordartz : Docteur Ludwig Walter (défenseur outrancier du hitlérisme), puis le Dr Eltner Ulrich.
c) Chef-Ingénieur : Leitende Ingenieur Werth Hans+ , remplacé par l’Offizier-Ingenieur Mietz Günther.
et 3 officiers de garde : les Wach Offiziere,
d) Oberleutnant zur See Steinhoff Hans, I WO, Erster Wach Offizier, 1er officier de garde,
e) Leutnant zur See Bickel Klaus, II WO, 2ème officier de garde,
f) Lt. z. S. Greve Detlev, III WO, 3ème officier de garde.
- 4 porte-épées, appelés officiers mariniers :
1 Obersteuermann Baudler Ernst,
1 Diesel-Obermachinist,
1 Elektro-Obermachinist,
1 Funkmaat.
- 13 sous-officiers
- et 33 matelots.
La 1ère division (pont et navigation) regroupait :
- les vigies qui constituaient les 3 veilles effectuaient sur le pont des quarts alternés toutes les 4 heures lorsque l’U-Boot émergeait pour calculer sa position ou s’aérer (il y avait 3 équipes de Brückewache).
Les autres membres avaient été formés dans diverses filières de carrière :
- Un 1er maître chef-timonier, (Laufbahn I),
- 1 maître chef-navigateur (Laufbahn II)
- 1 armurier (Laufbahn VII A)
- Les Torpedomixer (=Torpedomechaniker) mécaniciens-lanceurs de torpilles avant et arrière (Laufbahn VII T) dont l’un, Ernst Vass, brillant nageur, était également scaphandrier soudeur.
La seconde division (Techniker) concernait :
- Les machinistes de la centrale (avec garde bâbord et tribord),
- Les 3 machinistes dirigeant la conduite des moteurs auxiliaires et des diésels,
- Les 4 chauffeurs de ces moteurs diésels,
- Les électromécaniciens chargés de la marche des moteurs électriques ainsi que les 2 vérificateurs de l’état des accumulateurs (batteries),
- 3 opérateurs-radio ou radiotélégraphistes dans leur salle-radio et d’écoute (Laufbahn IV F),
- 2 à 8 Premiers matelots.
Un sous-marin est un engin sophistiqué qui requiert toutes les attentions : chaque fonction qui le caractérise doit être infaillible car le moindre pépin obère ses chances de survie.
Après la pose de la quille et le montage progressif de notre U-Boot auquel participèrent les recrues, puis son lancement après les essais de son équilibrage dans des bassins, suivis des tests d’étanchéité et de la détection des petits défauts d’équipements, avait lieu une cérémonie officielle d’attribution du bâtiment (eine feierliche Indienststellung), son entrée solennelle en service. « Auf das Kommando: Oberdeck stillgestanden ! Front zur Flagge! Signalgasten, hissen Sie die deutsche Kriegsflagge ! Au commandement, équipage du pont, garde-à-vous ! Déployez le drapeau ! Garde d’honneur, hissez les couleurs allemandes !» L’équipage était photographié et célébré. La musique militaire jouait, c’était un vrai régal. Des discours étaient prononcés : « Ici dans l’arme sous-marine combattent des héros ! Les poltrons n’ont pas leur place à bord ! Soyez dignes de confiance lors des manœuvres à venir car vous allez bientôt tenir en mains les destinées du Vaterland. Soyez attentifs, vous les novices, car c’est votre inexpérience, et elle seule, qui pourrait vous perdre dans l’antre de la mer…. ».
Des chants martiaux enveloppèrent ce tralala : Weit ist der Weg ins Heimatland, so weit, so weit,
dort bei den Sternen über’m Waldesrand liegt die neue Zeit, die neue Zeit.
Jeder brave Musketier sehnt heimlich sich nach dir. Ja, weit ist der Weg zurück ins Heimatland, so weit, so weit.
Die Briten zieh’n dahin, daher, sie zieh’n durchs Mittelmeer, die Stukas schlagen zu, die Welt hat Ruh …...
Le temps de l’entraînement et la formation dans la Mer Baltique prenaient du temps. Outre les trois semaines de tests impitoyables de navigabilité fonctionnelle passés à Kiel, le stage probatoire était agrémenté par de courtes visites occasionnelles effectuées par l’équipage dans diverses bases pour appréhender au mieux tous les événements pouvant survenir à un sous-marin lors d’une course. Puis venaient les tests de contrôle de l’U.A.K. (Unterseeboots Abnahme Kommando) qui était une commission composée de divers commandants d’U-Boot expérimentés qui estimaient ou non que l’équipage sélectionné était capable d’assumer sa future mission. Pour ce faire, elle suivait durant 5 semaines l’équipage d’un sous-marin pour vérifier si les différents cycles de maîtrise méritaient l’octroi de l’attribution définitive du submersible. Pour obtenir ce diplôme de capacité, l’équipage devait fournir la preuve de la parfaite maîtrise du bateau. En effet, de longues phases d’aptitude à acquérir étaient nécessaires pour espérer le départ à l’ennemi. Il fallait passer avec succès les examens de conduite afin de déterminer si le bateau et l’équipage répondaient aux exigences de cette navigation périlleuse.
L’aspirant-capitaine, les officiers de garde, en liaison avec les membres d’équipage, chacun dans son domaine de formation respective, apprenaient à localiser les sous-marins et navires ennemis, à les repousser et/ou à les détruire, à maîtriser la plongée profonde, la plongée rapide face à un avion, à tirer les torpilles, à se grouper en meute (Wolfpack), etc. Ces méthodes acquises étaient ensuite présentées à l’U.A.K. Au vu des résultats, ladite Commission donnait ensuite l’accord de départ au capitaine du bateau qui était alors prêt pour le front. Lorsque les tests n’étaient pas concluants, la formation continuait et d’autres exercices devaient à nouveau être effectués.
lebonJoseph10De même, un capitaine disposant d’un sous-marin réparé devait subir des tests complémentaires avant de pouvoir refaire partie de la flottille d’attaque sous-marine. En compagnie d’U-Boote plus récents, il lui fallait repasser les essais tactiques disséminés dans différents ports de la Baltique, chacun ayant des spécificités propres : lancement de torpilles, simulation d’attaques de convois, lancement de torpilles sur cibles, navigation de nuit, esquives d’attaques d’avions, tirs au canon et plus tard, après l’enlèvement dudit canon, tirs de mitrailleuses lourdes, etc... Parfois survenaient inopinément des difficultés liées à des pannes de moteurs ou des incidents sur divers équipements. Ces problèmes se résolvaient lors d’un test de navigation (Erprobungsfahrt). Si une nouvelle hélice avait été installée, le navigateur vérifiait si elle fonctionnait sans problème et surtout sans bruit. (La cavitation, phénomène très bruyant, provoque la formation de bulles d’air à la surface d’une hélice).
Avant de pratiquer les lancements de torpilles, chaque submersible devait avoir procédé à 66 attaques échelonnées, dont beaucoup s’effectuaient d’abord en attaques simulées avec des munitions à blanc, puis par des tirs soutenus à balles réelles. Onkel Karl Doenitz souhaitait que les équipages au cours des manœuvres en Baltique fussent sérieusement mis en danger « pour sentir le vent du boulet de canon ! » Le futur capitaine déclenchait régulièrement des exercices d’entraînement en tous genres durant les alertes simulées. L’entraînement pouvait avoir lieu de nuit avec plongée périscopique ou en immersion rapide suivie d’une plongée profonde. Les manœuvres étaient périlleuses : échapper aux propres observateurs aériens de la Luftwaffe en plongeant au plus profond, louvoyer au plus près entre les convois amis, effectuer des zigzags sous-marins pour leurrer la meute des limiers.
Le tir à blanc (ohne scharfen Kopf) des torpilles réglées à la bonne profondeur pour exploser sous la quille du bateau-cible (Zielschiff) était scruté avec sévérité par les instructeurs. En cas de passage victorieux sous la quille, on signalait au capitaine l’endroit touché par phonie ou instrument optique : un classement de meilleur tireur s’établissait.
(Les torpilles lancées sans leur cône d’explosion, -illuminées la nuit pour mieux suivre leur sillage- étaient repêchées par des Suchboote). De plus, afin d’affûter les réflexes de l’équipage en cas d’alerte aérienne, le capitaine en concertation avec ses officiers de garde, imposait de fréquents exercices surprises. Montre en main, il vérifiait le temps mis pour disparaître entièrement sous la surface et atteindre la profondeur requise. Pour les IX C-40, un chrono de 35 secondes était plus que parfait. Pour la plongée stuka, c’était une autre paire de manches ! Sprint du tonnerre des vigies, engouffrement culbuteur dans la tour étaient suivis du lancement des moteurs diésel en poussée maximale pendant que les barres de plongée avant étaient braquées vers l’oblique tandis que les pointes des barres arrière tendaient progressivement vers la même inclinaison. Déjà, les ordres avaient fait ouvrir les purges pour inonder les ballasts avant et faire infléchir le devant du bateau. Les hommes inoccupés et non requis pour la manœuvre de la plongée devaient foncer vers l’avant « alle Mann voraus ! » pour alourdir la proue tandis que l’électromécanicien-chef et ses aides basculaient l’énergie motrice des E-Maschinen sur les porte-arbres actionnant les hélices tout en fermant les écopes d’aspiration d’air des diésels et d’évacuation des gaz brûlés. Il fallait doser l’impulsion des chevaux-vapeur pour ne pas voir les hélices brasser l’air libre, action synonyme d’arrêt de propulsion du bâtiment à l’image d’un pédalier dont la chaîne aurait déraillé en laissant le cycliste patiner dans la semoule ! Les essais de plongée se succédaient, que ce soit à grande profondeur ou à vitesse maximale. Des simulations d’avarie se prêtaient à des exercices de réparation fictifs, à des raccommodages pour juguler les arrivées d’eau, (pour ce faire on emportait des pièces de cuir avec gabarit qu’on coupait aux bonnes dimensions).
Sachant que les compartiments étaient séparés par des cloisons munies de panneaux étanches, l’on devait les verrouiller inéluctablement en cas d’intrusions d’eau de mer provoquée par des grenadages. Mais très souvent, l’inondation d’un seul compartiment provoquait fatalement la perte du bâtiment par impossibilité de la juguler. Rarement il y eut des échappatoires ; les seuls cas de sauvetage eurent lieu par des fonds peu profonds d’où purent s’extraire quelques heureux rescapés, (ce fut le cas aussi pour 11 hommes dans l’U-1221, leur odyssée sera relatée plus loin). Les examinateurs exigeaient que chaque plongée fût décrite, relatée dans les moindres détails, débattue pour corriger les imperfections. Des attaques avec notre canon de bord étaient effectives. Par la suite, notre armement allait connaître quelques changements importants qui s’avérèrent nécessaires pour lutter plus efficacement contre les attaques d’avions. Ainsi, une double mitrailleuse lourde remplaça bientôt notre canon. Le service de garde au kiosque était très strict : chaque poste de vigie durait 4 heures et englobait un secteur d’observation de 90°. Une concentration absolue qui exigeait une discipline de fer !
Même si les deux hélices et les deux barres de profondeur avant (Seitenruder) et arrière (Tiefenruder) avaient été précédemment testées dans un chenal spécial imitant les courants marins, d’autres essais tout aussi scrupuleux s’ensuivaient que nous menâmes alors en Mer Baltique et qui servirent à vérifier leur fiabilité, leur acoustique et bien sûr leur hydrodynamisme. Les deux arbres qui entraînent chacun leur hélice tripale (diamètre 172 cm), fabriquée d’abord en laiton puis en acier en raison de la pénurie, avaient été vérifiés au préalable pour tester leur résistance lors de plongées profondes, pour savoir si les roulements ne s’usaient pas trop vite ou s’ils étaient enclins à se déformer suite aux longues croisières que le submersible allait devoir entreprendre.
« Tout était calé au millimètre près et l’on connaissait le sérieux des techniciens allemands pour veiller à la parfaite mise en œuvre opérationnelle du submersible. Les écoutilles s’ouvrant sur le passage des torpilles devaient pivoter sur leurs gonds comme sur du papier à musique. Tout l’équipement était contrôlé sous toutes les coutures, le moindre pépin pouvait être fatal ! Un meccano géant dont les parties assemblées se collaient, c’est le cas de le dire, les unes aux autres sans un brin d’écart ou de fantaisie ! » se plaisait à me préciser Jean Grill.
Une des dernières étapes avant le départ est l’établissement du profil sonore du bâtiment. Il s’agit de réduire la signature acoustique du sous-marin afin de le rendre silencieux comme un squale furtif. Les moteurs poussés à différents stades de régime émettent des sons, plus ou moins forts, que l’asdic adverse saura d’autant plus facilement détecter qu’ils seront élevés. Des microphones, sous le contrôle de l’UAG-Schall au large de l’île danoise de Bornholm, servent à limiter et à réduire au mieux ces bruits de casserole. Pour éviter que les pompes de cales trop bruyantes, les ventilateurs couineurs, les contrôleurs de pressurisation, les purges d’air comprimé ou les rotations des hélices ne rentrent dans la couverture perceptible de l’asdic, on dotait les appareils de propulsion de coussinets et de ressorts amortisseurs de bruits. Tous les appareils, tournant chacun sur leur axe moteur, étaient isolés de leurs supports rigides par des bourrelets élastiques antibruit. On isolait les fixations rigides des tuyauteries sur la coque épaisse par des blocages en caoutchouc. Tous les appareils de mesure étaient protégés pour parer aux vibrations et à la casse subite pouvant survenir suite à divers incidents de guerre.
On essayait d’avoir une bonne accessibilité à toutes les tuyauteries, dans toutes les sections le long de la coque épaisse. Lorsque l’E-Maschine tournait à moins de 120 tours/mn, son Propellersingen (chant d’hélice) devenait inaudible pour l’oreille humaine ennemie. Ces bruits saugrenus une fois détectés par les spécialistes de l’UAG, permettaient ainsi au capitaine, lors de poursuites devant l’ennemi, de contrôler les émissions sonores pour ne pas être repéré durant la vitesse économique du déplacement qu’on appelle une Schleichfahrt et que nous nommions prosaïquement navigation faufilante ! On dotait alors, par précaution, les mécaniciens de chaussons de feutre ou de socquettes (Schleichfahrtsocken) pour occulter auprès de l’adversaire le moindre signe révélateur de notre présence.

lebonJoseph11Préparatifs de départ à l’ennemi.
Pour arborer l’insigne de maturité du Frontreifzeichen apposé par peinture sur le kiosque (nous l’obtînmes une 1ère fois en janvier 1944 avec Karl Kölzer, nous nous sommes éclatés ce jour-là !), les hommes devaient justifier d’avoir passé avec succès, chacun dans son domaine de compétences : le Torpedoschiessen, la Schiessausbildung (formation de tir), la Tauchübung (exercice d’évacuation de plongée), le Brückenausguck (vigie) et la Brückenwache (garde), l’exercice d’approvisionnement en Treiböl à moins de 30 mètres d’un ravitailleur, appelé vache-à-lait (Milchkuh) dont nos manches de transvasement, flottant en surface, étaient branchées sur le sous-marin de type XIV-A , qui avec ses autres nourrices, seront toutes liquidées grâce au décryptage de l’Enigma !
Pour affronter l’ennemi, un équipement d’armement de guerre (Frontausrüstung) s’avérait évidemment fondamental avec des préparatifs qui allèrent dès lors se hâter avec l’installation de mitrailleuses jumelles Flak sur la plate-forme haute près du kiosque, les essais du canon 3,7cm sur le jardin d’hiver du bas (Unterer Wintergarten), la réception des torpilles (Torpedo Übernahme), l’installation du schnorchel, la démagnétisation du bâtiment pour éviter les mines flottantes, l’apport de munitions, le remplissage de carburant (Treiböl), la réception de provisions (Proviantübernahme), l’appoint d’eau douce (Trinkwasser-ergänzung).
Lors du départ, un vice-amiral venait souhaiter bonne chance à l’équipage réuni sur le pont.
Avant de sauter dans l’inconnu, une dernière lettre rassurante était envoyée aux parents (avec prière d’indiquer une adresse, pour nous c’était le code postal M 39131).
Avant notre départ pour le Canada, tous les sous-marins stationnés à Horten en Norvège et qui disposaient depuis peu d’un schnorchel furent soumis à une stricte formation pour en acquérir les petits secrets. Au vu de la maîtrise de l’engin, les commandants obtenaient le feu vert pour l’Atlantique. En sus, on nous demanda de vérifier au cours de notre navigation en surface si les batteries se chargeaient bien. Puis on re-contrôla, au cours d’ultimes manœuvres de plongée et de navigation sous-marine, la bonne marche au périscope, la marche en surface avec les moteurs diésel confrontés à tous les degrés des octaves prévus par le transmetteur d’ordres de vitesse aux moteurs (dreimal wahnsinnig, Äusserste Kraft, voll, halb, langsam, ganz langsam) , avec ou sans aération constante de l’habitacle. Naviguer au schnorchel présentait l’inconvénient d’être aveugle et sourd, avec une vue réduite du champ de vision restreint fourni par les deux périscopes de navigation classique et de combat. Durant la bruyante marche au schnorchel, pour libérer l’équipage d’une tension insoutenable, il arrive qu’on lui demande de marteler des boîtes de conserves sur le cerclage ajourant les panneaux de passage, puis de les expulser par pression à travers le tube lance-torpilles VI de l’arrière. Durant le martelage des boîtes, nous pouvions nous égosiller, chanter à tue-tête. On appelait cela décharger son agressivité, sich austoben.
Lorsque l’agressivité palpable est à son comble, il faut ouvrir, comme on dit, son Ventil (soupape) !
Avec les longues marches sous l’eau accentuées par l’usage continu du schnorchel conçu pour permettre au sous-marin d’échapper plus facilement à l’ennemi, les conditions de vie ont empiré à partir de l’été 1944.
Le bruit du schnorchel par mer houleuse agissait douloureusement sur nos tympans. Ainsi, l’Obermachinist Weisbarth se vit appliquer par le docteur Ludwig un emplâtre sur les oreilles car ses tympans suppuraient.
« Geht die Sonne hunter, Quand le soleil se couche, Wird der Schnorchler munter, le renifleur devient alerte,
Steht die Sonne am Firmament, le soleil se tient-il au firmament,
Der Schnorchler auf der Backkist’ pennt, le renifleur fait la sieste dans sa caisse de bord arrière.»
(Ndr : la navigation nocturne au schnorchel permet de recharger les batteries sans danger).
L’espace arrière (Heckraum, photo ci-dessous de l’équipage du U-73) constitue non seulement le logis, la salle à manger, le local de vivres, l’atelier et le dortoir de la moitié de l’équipage des matelots mais également l’espace d’entretien des torpilles qu’il faut réarmer presque journellement : un travail de forçat pour extirper l’anguille de 1,5 tonne de son alvéole et la réenfiler, en réenclenchant au passage le système électrique d’expulsion et y attendre, plût au ciel des marins chanceux ! les commandements du lancer victorieux !
lebonJoseph12C’est là que je crèche. Outre la torpille déjà engagée dans le tube V, (le tube VI étant utilisé pour servir de vide-ordures, les détritus étant éjectés par la pression d’air comprimé) nous avons encore deux dans leur berceau de réserve stockées sous les couchettes. Comment vouloir dormir de manière sereine dans ce capharnaüm ? Vu ma taille moyenne, je m’engouffre avec souplesse et rapidité, pieds projetés en avant à travers l’ouverture, en agrippant avec dextérité la bordure cerclant les panneaux successifs qui défilent vers l’avant.
Venu de l’arrière, j’emprunte la coursive centrale pour aller aux toilettes des équipages-matelots situées à l’avant lorsque le feu vire au vert. Il me faut au préalable passer entre les moteurs électriques en marche, puis raser les imposants blocs-moteurs des diésels rendus silencieux par notre navigation dans les profondeurs, traverser la centrale, filer devant le Shaft (petite chambre) du capitaine et le carré des trois officiers de garde entre lesquels se trouve le poste d’écoute et d’émissions-radio. Viennent ensuite la cambuse, l’U-Raum (compartiment des officiers mariniers) avec des couchettes latérales et une table à tout faire (jeux de société, soirée conviviale, lecture, et les repas bien sûr). Derrière ce local se trouvent les toilettes.
Le poste avant (Bugraum) occupé par une autre partie de l’équipage (matelots et simples sous-officiers) contient la chambre principale des torpilles. En attendant leur utilisation, les hommes vivent sur un plancher de bois posé au-dessus des torpilles, dont certaines étaient casées dans leur berceau et cohabitaient avec les hamacs.
Je constate que 3 des 4 tubes sont fermés comme l’on ferme le couvercle d’une cocotte-minute avec une poignée qu’on tourne jusqu’à obturation complète du tube. L’un est ouvert et deux mécaniciens s’épuisent à glisser une torpille dans sa loge. L’un d’eux vient de s’arcbouter sur le rail d’enfournement qui coulisse avec son palan et ses chaînes de chargement sous la voûte, en poussant l’anguille par la traction de ses jambes dans le tube approprié. Dire qu’ils font ça presque tous les jours pour réamorcer les engins englués dans la graisse !
Le médecin de bord, grâce aux strictes mesures prises, veille à l’entretien physique et moral de l’équipage et se préoccupe de notre santé. Il nous fournira, grâce au journal édité chaque semaine à bord du 1221, de précieux renseignements et différentes attitudes à adopter face à la constipation et autres bobologies (chaud-froid réglé à coup d’Aspirin, démangeaisons liées à des problèmes cutanés, indurations provoquées par les habits rêches et l’humidité constante, chocs, maux de tête, diarrhées, poux du pubis, hygiène dentaire avec le brossage quotidien des dents). Un Bordarzt s’avère nécessaire à tout point de vue. Lorsqu’il passe dans nos antres, ne préconise-t-il pas la méthode du savoir bien dormir, c’est-à-dire récupérer du stress continu en cherchant un sommeil de qualité ? Entre nous, c’était plus facile à dire qu’à faire car ses recommandations médicales étaient battues en brèche par les incessantes nuisances sonores qui secouaient le bateau et surtout, nos organismes.
Le matelot était rompu à un démentiel combat au corps-à-corps avec l’océan ! Suite aux contusions violentes provoquées sur le pont par les paquets de mer lors de ses veilles, en raison d’écrasements de doigts pour ceux qui manipulaient des outils pouvant entraîner des fractures, il fallait la présence de l’homme de l’art pour les soigner ou les réduire. Absorbé par les somnolences liées à la non-récupération de sommeil, la vigilance du guetteur chutait (avait-ce été le cas de Motyl confronté à la morosité d’un quotidien sans espoir ?) : ankylosée dans ses gestes patauds, la sentinelle des mers en oubliait presque jusqu’aux manœuvres les plus basiques ! Là aussi, la gueulante-maison du toubib remettait les idées en place et débloquait de manière fulgurante les mouvements rendus balourds par les assoupissements et autres bâillements très mal venus des resquilleurs. Le toubib, étant un idéologue chargé d’imposer les directives du Parti, il valait mieux se tenir à carreau avec ce bonze singulièrement affûté après l’attentat du 20 juillet 1944 ! Dans notre étroit habitacle vivaient : le cuistot Zetzsche, le torpedomixer Kegelmann, les opérateurs-radio (Funker) Regner, Dornseifer, Warkus, les chauffeurs des diésels (Dieselheizer) Enseleit, Hasenauer, Hohl, Hollfeld, Margreiter, les E-Heizer Müller, Schulz, Klein et Säuberlich, les barreurs (Rudergänger) Knoch, Neumann et Lebon votre serviteur, en tout 17 hommes !

Plongée sous les flots :
Pour un Rudergänger appelé à savoir manœuvrer les barres avant et arrière, à la fin de son cycle de formation devant des simulateurs (Simultan-Anlage), il lui fallait ensuite, sur ordre du L.I. (Leitende Ingenieur) et en liaison avec le timonier-chef :
- pouvoir garder le cap droit sous l’eau et garantir la bonne assiette grâce aux Papenberg ,
- varier les ajustements mineurs du submersible pour stabiliser sa route en profondeur,
- conduire au mieux le bateau en position plane dans des conditions normales ou face à des difficultés,
- apprécier les problèmes de circulation interne (1 homme qui se déplace peut interférer sur l’équilibre),
- assurer avec succès les manœuvres de plongée (la Hartlage étant la plus difficile, il fallait plonger très vite pour éviter les collisions de surface, les attaques aériennes et les séries de Wasserbomben, Wabos).
Les barreurs bâbord et tribord, une fois leur probation accordée, pressaient des boutons placés sous leurs pouces pour activer hydrauliquement les barres de plongée avant et arrière (Tiefenruder), appelés aussi gouvernails de profondeur. Assis côté tribord, j’étais chargé des deux barres latérales avant (Seitenruder). Nous communiquions simultanément avec la salle des machines à travers un transmetteur d’ordre (un tuyau creux qui amplifiait les consignes) mais nous disposions aussi d’un autre tube acoustique qui communiquait avec la passerelle et l’intérieur du bâtiment lorsqu’il fallait plonger sans délai. Un cadran nous renseignait sur les réglages de vitesse de plongée. (Dans la partie arrière, en cas de panne hydraulique, se trouvait un grand volant manuel qu’on tournait pour diriger le gouvernail.) A côté des boutons-poussoirs agissant sur les barres et séparés par les 2 Papenberg, entre la boussole en double, au-dessus de l’aiguille indiquant la position des gouvernails de plongée et les télégraphes bâbord et tribord avec leur rotation des ondes, on trouvait un triple commutateur rotatif rouge pour actionner le klaxon d’alarme annonçant la plongée immédiate ainsi qu’un poussoir pour activer la sirène avertissant l’arrivée d’avions ennemis. Ces deux tâches étaient dévolues au timonier suivant les ordres hurlés du pont et ne devaient en aucun cas être confondues ! Comme j’étais aussi Steuermanngast, c’est-à-dire timonier-remplaçant, j’avais intérêt à ne pas les confondre !
Pour les timoniers (= navigateurs = pilotes) et les deux barreurs, il existait dans la Zentrale (salle de contrôle) un autre poste de manœuvre où œuvraient en parfaits binômes le capitaine, donneur d’ordres, et son chef-ingénieur qui les répercutait vers les forces vives. Le timonier-chef était responsable de la navigation du Boot. Via le gouvernail de direction il maintenait le cap que lui avait fixé le capitaine, calculait le temps à mettre pour atteindre le but assigné, donnait ses instructions aux 2 barreurs, consignait les caps dans un livre de bord (Logbuch). Que ce soit le klaxon d’alerte qui vibrait rageusement ou la sirène qui retentissait, chaque matelot se rendait à un poste déterminé pour y remplir une fonction précise. En service de routine, la vigilance du timonier-chef (Obersteuermann) comme celle des deux barreurs s’effectuaient par tiers, (même poste occupé successivement par trois hommes relevés toutes les quatre heures). Pour conjurer la venue subreptice d’avions maraudeurs lors de la navigation en surface, on appelait en renfort les mitrailleurs qui occupaient aussitôt les trois mitrailleuses anti-aériennes et l’un d’eux s’empressait de partir à l’approvisionnement des munitions casées dans des réceptacles spécialement rangés et disposés près des armes de bord. Ce maudit klaxon qui est le signe précurseur d’une catastrophe réclame une plongée rapide sous les flots, à l’instar du fougueux trident brandi par Poséidon ! En cas d’arrivée inopinée d’avions ennemis, vu l’étroitesse du panneau donnant accès à l’intérieur du kiosque, il faut en un tour de main pouvoir culbuter les hommes dans le ventre du monstre marin. En ces instants cruciaux, un bonhomme est présent sur la plate-forme intérieure du kiosque, il prend à bras-le-corps tout gars qui se réceptionnerait mal pour que celui qui dégringole tout de suite derrière lui ne lui tombe pas sur la tête, ce qui provoquerait bousculade et contretemps. Chaque seconde perdue multiplie par 10 les risques mortels.
Dès que l’alarme retentissait, l’équipe de veille sur le pont (5 à 6 gars) devait en moins de 10 secondes avoir dégringolé l’échelle de coupée avec l’écoutille verrouillée par le commandant ou le dernier marin plongeant dans le bâtiment. Avec les moteurs électriques, il fallait en moins de 40 secondes être descendu à – 40 mètres. En tant que Rudergänger tribord, assis sur un tabouret-plateau (Tellersitz) de crainte qu’un dossier à l’arrière ne puisse prédisposer à la somnolence ! je connaissais sur le bout des deux mains mon travail pour diriger les Höhenruder –Vorkante hart unten- c’est-à dire plonger avec la pointe des barres avant au maximum vers le bas (cf. dessin).

lebonJoseph13

Du fait de la manœuvre simultanée qui dirige les barres arrière de la même manière parallèle vers le bas –Hinterkante hart oben-, mon voisin chargé des barres arrière devait savoir compenser le plongeon. Habile équilibre à doser sinon, c’est la chute vers la fosse sans nom (cf. voir par ailleurs le dessin de René Jansen).
Chaque matelot sait ce qu’il doit faire en cas d’immersion précipitée mais il attend le feu vert donné par haut-parleur pour enclencher sur ordre de l’Ingénieur-chef sa propre manœuvre caractéristique. Mais les intéressés impliqués doivent patienter : leurs communications successives débitées vers le P.C. défilent en vitesse ultra-rapide, soit par haut-parleur ou par voix normale fortement clamée ou encore relayée par un tiers pour que le L.I. dans la centrale puisse vérifier que chaque homme est prêt à son poste. Ici un mécanicien s’apprête à fermer une vanne de purge. «Flutventil zu ! » criera-t-il après accord tandis qu’un autre interrompra l’arrivée du gas-oil en s’exclamant : « Treibstoffzufuhr zu ». Le basculement des diésels sur les machines électriques est un procédé complexe qui survient lors des alertes de plongée rapide. Habituellement le bateau circule avec ses diésels.
lebonJoseph14Les mécanos-diésélistes éteignent leurs moteurs, en même temps qu’ils ferment les tuyaux d’échappement des gaz et d’admission d’air du schnorchel au moyen de deux vannes d’arrêt. Ensuite on désaccouple les diésels, c’est-à-dire qu’ils sont séparés des deux arbres actionnant chacun son hélice, lesquels sont ensuite embrayés sur l’électromécanique dont les mécaniciens ont déjà fait démarrer les E-Maschinen. Mais toute cette opération ne se fait que sur ordres dispensés du poste central par le capitaine ou l’officier de garde.
Alors que j’étais assis au W.C. situé à l’avant du sous-marin, retentit subitement l’alarme. Avec beaucoup de Lastigkeit (lourdeur), nous descendîmes rapidement dans les profondeurs. Lorsque sonnait le klaxon, tous les postes de combat étaient automatiquement occupés. Ma place attitrée se trouvait alors dans le poste central à la table de traçage des positions (Koppeltisch). J’étais chargé d’y relayer les ordres vers la tour (Befehlsübermittler). Comme je ne me trouvais pas sur les lieux, on chercha à me localiser. Nos avions dégringolé d’environ 140 mètres dans un bruit affolant. Comme la pression s’amplifiait, je n’arrivais plus à ouvrir la porte des W.C. même avec de l’aide extérieure. Je dus donc patienter et subir cette promiscuité jusqu’à ce que le bateau remontât à une profondeur A-20, c’est à dire à - 60 mètres. Ce fut une sale impression de se sentir comme piégé entre le marteau frappeur et l’enclume encaisseuse !
La lumière rouge est surtout économique et permet de faire le distinguo entre le jour et la nuit. Il faut faire taire la rumeur qui voulait qu’on l’allume parce qu’elle permettait d’ignorer la couleur du sang, balivernes que cette affirmation ! Elle est en fait allumée lorsqu’on se préparait à attaquer un convoi. Grâce à ce système lumineux tamisé, on habitue les yeux à la pénombre ambiante et on évite que la lumière crue du jour n’aveugle le kiosque lorsque le panneau de la tour est ouvert. Les bruits à bord d’un sous-marin méritent le coup d’oreille ! On entend, comment dire, du BRUIT, un bruit continu, lancinant, qu’on considère stupide car il varie d’intensité suivant le bon vouloir des divers modes de propulsion du submersible. On perçoit l’ahanement et le cognement réguliers des pistons des diésels pourtant graissés méticuleusement par nos papas-poules, le timbre strident des pompes qui débitent l’eau sous pression dans les caissons d’assiette, pompes relayées à leur tour par les compresseurs propulsant l’air dans les salles en enfilade comme des soufflets de forge car amplifiés sous la voûte, en sus du roulement fastidieux des arbres d’hélice qui tournent sans fin dans une triste mélopée de veillée funèbre !
A la recherche constante d’une présence ennemie dans nos parages, le Metox avec son cri égrillard de mouette obstinée, porte tout particulièrement sur le système ! Le pire, c’est encore et toujours ce supplice d’aspiration goulue d’air que nous inflige le clapet mobile du schnorchel obturé trop souvent par les vagues lorsque la houle s’anime. Oui, c’est la déchirure lente et sournoise d’un rideau de peau qui tarde à crever les pauvres tympans soumis. Nous baignons dans ces clameurs comme des cancrelats piégés dans la bouillie.
La garde la plus dure se situe entre minuit et 4 heures du matin. Avec notre horloge chrono-biologique perturbée par les incessantes gardes, cette veille est appelée Hunde- ou Rattenwache, terme animal suggestif pour décrire la vigilance d’insomniaque contrarié qu’il nous faut assurer.

Navigation sous-marine :
Voici les noms des barreurs affectés à notre Brückewache n° III chargés, soit de la garde du pont, soit de la manœuvre des hydroplanes (= barres = safrans) : 1ère veille : Albert Neumann, 2ème veille : Arthur Knoch, chargé de cet exercice lors de combats (c’était le meilleur d’entre nous), 3ème veille : Joseph Lebon.
En croisière de guerre, la vie journalière est rythmée par les trois périodes de quart qui duraient chacune 4 heures. Chaque équipe (pont, techniciens) était placée sous l’autorité d’un officier de quart (I WO, II WO, III WO). Les équipes étaient composées de 3 épieurs (Ausguck) et d’un timonier posté sur la passerelle ou dans le kiosque. A mes côtés, sur le pont, lors de ma veille de 4 heures se trouvaient deux vigies des Brückewache n° I et n° II, sachant que le restant des trios de barreurs se reposaient ou vaquaient à des tâches spéciales.
Lorsque le sous-marin plongeait, 2 des barreurs-guetteurs s’installaient aux commandes des barres de plongée dans la centrale pendant que le 3ème maniait les purges du ballast-avant n° 5 pour favoriser la plongée rapide.
Après mes 240 minutes passées comme vigie, mes deux autres quarts restants étaient partagés, d’abord en 4 heures de sommeil (repas compris) sur la bannette chaude délaissée par le veilleur suivant qui était parti me remplacer, puis suivies de 4 heures de vacation où moi-même devenais pointeur et releveur de positions du sous-marin sur la carte Nord Atlantik. Et le processus reprenait. Tandis que la 2ème veille des vigies montait sur le pont ou œuvrait aux barres, la 1ère bordée de quart-pont pouvait, après accord du capitaine, passer siroter un café, déjeuner ou dîner avant de s’endormir. Il en était ainsi pour chaque service qui se relayait et qui passait ensuite se sustenter à la cambuse où le cuistot mijotait à toute heure (sauf en période de combat ou de poser sur le fond) un plat sur son réchaud électrique pour requinquer les lords de la mer.
La bordée des machines, elle, durait 6 heures et englobait 9 membres. Parmi eux, un quartier-maître et un marin rejoignaient la station de combat dans la Zentrale ; le machiniste-chef et ses autres compagnons étaient répartis dans les salles des moteurs diésels et de l’E-Maschine. Le personnel chargé des radiocommunications (3 permanents radio) était ventilé comme le personnel des machines dans un système de garde réparti équitablement de jour comme de nuit. Les gars employés aux torpilles (1 torpilleur-chef, 2 mécaniciens) n’étaient pas soumis aux veilles mais devaient être présents constamment. Le commandant, le mécanicien-chef, le cuisinier étaient continuellement d’astreinte. Le règlement à bord stipulait que le commandant pouvait être appelé sur la passerelle du kiosque à tout moment. Tout pacha qu’il était, il ne contrevenait pas à la procédure de justification : « Kommandant auf die Brücke » d’où il pouvait, en évaluant le rapport alarmiste des guetteurs, donner illico les ordres nécessaires, soit plonger, soit répliquer par les tubes doubles des mitrailleuses de bord ou le canon 37. Sa présence était indispensable à l’aube comme au crépuscule, moments où le danger d’être surpris s’avérait le plus élevé. L’hydrophoniste n’ayant détecté d’anormal sur les flots, le capitaine montait dans le kiosque, suivi par un officier de quart. Les deux hommes balayaient chacun avec leurs jumelles la moitié de l’horizon, l’un regardant scrupuleusement vers l’avant et son acolyte vers l’arrière. Par précaution, les deux officiers visualisaient une seconde fois leur espace respectif de 180°. Ce n’est qu’alors, toujours sur ordre, que trois autres guetteurs étaient autorisés à grimper l’échelle menant sur la plate-forme de la tour, suivis en cas de nécessité des mitrailleurs. Pour ne pas couler, une autre manœuvre se répétait quotidiennement : la pesée d’équilibrage dont le but était d’effectuer des corrections de stabilité, de poids, de flottaison suite aux couches bathythermiques qui modifiaient la densité de l’eau.

La nourriture à bord : « Pour gagner une guerre, il faut soigner le ventre du soldat. » Citation du Alte Fritz .
Avant de nous voir fendre les flots, le sous-marin a embarqué ses torpilles, ses munitions de tourelles de tir. Il lui faut aussi se pourvoir en nourriture. Les légumes frais sont des apports de vitamines précieux pour les éreintantes patrouilles opérationnelles. L’embarquement dure des heures car les victuailles sont faufilées à travers d’étroits passages et disséminées à l’intérieur dans le moindre recoin. Il n’y a pas que le jambon et les cochonnailles.
Les sacs malléables, surtout les sacs de patates, vont se nicher dans les encoignures les plus invraisemblables, à côté des gilets de sauvetage, près des cartouches de potasse et au milieu d’un bric-à-brac d’outils et de pièces de rechange destinés à réparer au mieux toute fuite ou panne de moteur.
Un tel service crevant à bord (schwerer Dienst) exige des mets divers, variés (Proviant von bester Sorte), riches de sensations goulues, ne serait-ce que pour oublier la pénibilité, la promiscuité, le manque de sommeil, le peu d’air et tant d’inconvénients qui vous émoussent l’ardeur de l’individu.
lebonJoseph15N’imaginez pas un seul instant que l’épicier du coin vous tende les bras en cas de rupture de stock, il fallait s’assurer que la nourriture embarquée (6 tonnes de précieux viatique) suffise à sustenter l’équipage ! Tout aliment comestible devait être embarqué à bord ou fourni, le cas échéant, en cours de route par des navires de ravitaillement. Equilibrer le submersible en dispatchant au mieux le circuit de provisions, bien les fixer en cas de dégringolade, ne pas encombrer la salle des moteurs pour éviter de venir constamment récupérer par un incessant va-et-vient les marchandises constituaient quelques-unes des dispositions à bien prendre en considération pour naviguer en parfait équilibre sous la mer.
Ces subsistances étaient stockées dans des endroits les plus insolites : un deuxième W.C. normalement réservé aux officiers était temporairement sacrifié pour accueillir le surplus d’aliments. Les filets de provisions remplis de patates et de carottes germaient sans photosynthèse au bout de deux semaines en se barbant de filasses albinos, l’air vicié avait vite fait aussi d’avarier les Kartoffel.
Durant les deux premières semaines en mer, la nourriture est encore assez variée. Fruits, légumes frais et pain blanc ou noir ou aux cinq céréales mis sous cellophane constituent des denrées appréciées à côté des produits de base, sucre, sel, riz, pâtes (Makaroni, Nudeln), fruits en conserves. Le cuistot (der Smut) mijote des plats préparés à partir des boîtes de conserves (Konservenkost) ou de vivres desséchés (lyophilisés). Porc, lentilles, haricots, carottes sont conditionnés dans des récipients aux contenances diverses, parfois calculées pour 50 hommes. Le Fensterfisch, c’est le sobriquet du hareng vitrifié dans son écrin de gelée ! Le Pumpernickel (pain noir) en fines tranches, le Schiffzwieback (biscotte de mer) et le pain en conserves servent de lit au beurre (salé de Bretagne ?) et à la marmelade. Déconsidéré par sa dureté, le Biskuit est appelé par dérision, Matrosekuchen, le gâteau de matelot. Le Muckefuck était un café léger tiré d’un d’ersatz.
Der Wurst est à toutes les sauces ! Car les saucisses (Bockwurst, Knack-,Wiener-, Fleich-, Brat-, Leber-, Blut-...) fumées ou non sont toujours de la partie tout comme les jambons et autres anneaux de saucissons suspendus dans les carrés libres. D’ailleurs chaque centimètre cube est utilisé pour le stockage des rations !
Au-dessus de la tête de l’homme de quart, il arrive que des tranches de lard, attaquées goulûment par les asticots, gigotent doucettement sous leur frénésie insatiable. Avant d’arriver au stade de pupes, les bestioles saupoudrent le plancher si ce n’est l’Eintopf (la potée unique) où elles surnagent comme d’horribles protéines. Pour éliminer une échine lardée de larves, on la baigne dans une mixture à base de potasse (Kalibad). L’un des timoniers nous signala même que les asticots pullulant dans un jambon véreux tombaient tout frétillants sur la grosse boussole.
Parfois des surprises attendent l’équipage. Aucune boîte de ration n’étant explicite quant à son contenu (les conserves ne présentaient aucune indication) les hommes mangent parfois, jour après jour, des légumes cuits à tire-larigot alors que le pain est rationné, c’est ce qui nous est d’ailleurs arrivé ! En effet, lors de la réception des vivres pour notre campagne, on s’aperçut en pleine mer qu’on nous avait trompés sur la quantité de la nourriture embarquée en Norvège. On nous avait vendu des boîtes métalliques contenant du pain soi-disant d’un kilo alors qu’elles ne pesaient que 500 grammes. Ce qui fit que le pain fut rationné. On ne mourut cependant pas de faim pour autant. Lors de nos contacts directs avec l’ennemi canadien, nous avons goûté à la gamme d’œufs frais achetés sur les marchés de Norvège (et Dieu merci non à cette horrible poudre d’œuf artificiellement reconstituée !) : crus, en omelette, miroir (Spiegelei) et durs qu’on prenait sur le pouce lorsque la situation sentait le roussi ! Il fallait d’ailleurs au bout d’un mois commencer à utiliser le stock d’œufs de volaille à toutes les sauces car c’était une préparation culinaire simple qui avait l’avantage de ne pas user inutilement nos charges de batteries lors de notre poser sur le sol marin. Envoyer quelqu’un se faire cuire un œuf chez le cuistot partait chez nous d’un bon sentiment ! Si le commandant Paul Ackermann rêvait tous les jours de pudding, par contre il détestait les haricots coupés qu’il ne pouvait même pas humer de loin tant leur odeur caractéristique l’indisposait. Nous disposions malheureusement d’une énorme quantité de ces fameux haricots survitaminés. Nous avions également embarqué du Frontpudding qu’il fallait délayer dans l’eau. Comme le cuisinier, fier de ses prérogatives culinaires, n’était pas de cet avis, il le mélangeait à du lait qui rendait le mets peu consistant d’autant plus que le coq, sûr de son statut, y versait dessus du sirop de cerise ou quelque chose d’analogue, ce qui produisait une peu appétissante présentation de la chose. Lors de la venue des fayots verts, le commandant qui n’en prenait jamais préférait manger du pain sec, j’en fus témoin. Et voilà le pudding du cher Doktor August Oetker qui arrive ! Comme le sous-marin bougeait beaucoup car la mer était agitée et cela se ressentait même sous l’eau, le médecin, un tantinet espiègle, s’amusa, avec les colorants naturels baignant ce dessert, à créer dessus un bel abcès couleur rubis. N’empêche, ledit pudding qui se retrouvait pour ainsi dire sur le flanc, le commandant le dégusta sans difficultés !
lebonJoseph16L’eau était à la portion congrue. Un verre d’eau quotidien pour un brossage de dents! Le Kaugummi (gomme à mâcher) était distribué pour déstresser les mâchoires; le massepain était très apprécié surtout lors du schnorchelage, un fastidieux ronronnement portant sur les nerfs et l’organisme. Des tablettes de vitamines commencèrent à être distribuées un bon mois après notre départ de Norvège.
Le kautabak, le tabac à mâcher, se présentait en plaques ou en rouleaux de tabac compact pour être chiqué.
Question hygiène, le capitaine veillait à ce que la table soit propre, il était regardant sur la tenue, les mains sales étaient bannies (il y avait une indulgence pour les malheureux diésélistes aux ongles noircis). « Pas de porcherie sur mon bateau ! » Le Sontagsputz enclenchait le Reinschiff, mais en fait le nettoyage dominical se faisait le samedi, chacun avait la mission de briquer son gîte intérieur. N’empêche qu’avec ce rituel, le repère de propreté instauré permettait de se situer dans le temps. Ce qui nous obligeait ce jour-là à changer de sous-vêtements, à nous débarbouiller plus proprement, à frotter le cou pour éviter les furoncles, à honorer (certains pieusement) le Jour du Seigneur et par les temps qui couraient, mainte prière d’intercession pour avoir la vie sauve se faisait dans le secret de l’alcôve, n’en déplaise à notre pourfendeur national-socialiste de corbeaux bipèdes, le NS-Offizier Herr Doktor Ludwig, chevalier teuton, ayant mordu à fond dans la ligne anticléricale du parti !
L’air jovial du disque, clin d’œil épanoui dans la grisaille de l’existence, «Ja, das ist mein Sontagsvergnügen, bis 10 Uhr im Bettchen liegen » nous permettait d’apprécier ce moment béni.
La musique constituait le baromètre divertissant chargé d’apaiser les dépressions et les vagues-à-l’âme par l’entrain et la bonne humeur qu’elle nous dispensait. Airs martiaux, opérettes du genre Fledermaus de Johann Strauss, classiques de Mozart alternaient la ronde de leurs microsillons avec le Wehrmachtsbericht. Là vraiment, on était aux premières loges musicales avec des cartons pleins de mélodies débordantes de vitalité. Les romances à l’eau de rose ne figuraient pas dans le répertoire, histoire de ne pas cafarder davantage les nostalgiques
Pour ne pas tomber sur le système, il n’y a rien de plus casse-pieds que d’entendre toute la journée les mêmes ritournelles ! Vous aspirez au sommeil après être resté 4 heures complètes debout et je peux même écrire que la Petite musique de nuit de Mozart enrageante car serinée tous les soirs m’empêchait d’entrer dans le monde bienheureux du marchand de sable. Le Lokus (toilettes) sur la porte desquelles des écriteaux suggestifs ‘soyez bref’ donnaient le ‘la’ aux sphincters, réservait aux néophytes de fastidieuses manipulations de la pompe pour expulser l’objet de leur délit. Il est un fait que l’utilisation des toilettes était assez compliquée. En général, un sous-marin disposait de deux cabinets d’aisances. Mais on utilisait souvent l’un d’entre eux comme réserve de nourriture, du moins les deux premières semaines. Après chaque utilisation, le contenu des toilettes était transvasé dans un réservoir à l’aide d’une pompe mécanique, pour ensuite être rejeté dans l’océan. L’utilisation des toilettes était interdite quand le sous-marin traquait un ennemi, par crainte que le bruit de refoulement ou les débris flottants ne signalent sa présence
Nous ne subissions pas les revues de paquetage, mais on nous incitait poliment au rangement de nos effets, au nettoyage au mieux de nos habits amidonnés par la crasse. Outre le treillis gris-vert, la veste de cuir et les bottes, l’U-Bootpäckchen (paquet) de chaque homme révélait 2 pullovers, 6 paires de bas, le bonnet de laine à pompon appelé Pudelmütze (coiffe de caniche), plus 6 ensembles de sous-vêtements ainsi que des bottes de mer (Seesstiefel) avec semelles spéciales en cuir et liège. Rien de plus sinon de rares babioles sentimentales !
Et si ce fourniment léger apparaissait bien restreint pour équiper les chevaliers des profondeurs, il faut savoir qu’on éprouvait beaucoup de difficultés à le caser dans les petits placards réservés à cet usage ! Il n’y avait pas de chiqué dans la recherche vestimentaire car même les prestigieux habits bleus de sortie avec leurs décorations devaient rester en caserne.

Récit de Flachsenberg : Comment manger lorsque le vent se met à souffler force 6 ?
« L’U-71 navigue face à la lame. Il roule, tangue, tousse comme un fétu, montant sur les crêtes bouillonnantes avant de retomber entre deux murailles liquides, avec des creux de dix mètres au moins! Gîte terrible: tout valse à bord, même ce qui était le mieux amarré. Les hommes sont éjectés de leur couchette. Sur la passerelle, l’équipe de quart est trempée au bout de quelques secondes, malgré les combinaisons, les pantalons de caoutchouc, les cirés, les suroîts étroitement fermés sous le menton.
L’eau glacée s’insinue partout, dès qu’elle a trouvé le plus petit interstice. L’écoutille du panneau est maintenue fermée pour éviter l’inondation du poste central. A chaque relève, c’est une cataracte qui rentre, inondant les hommes et les choses avant que l’eau ne se répande dans la cale. L’air, à l’intérieur du sous-marin, est à couper au couteau, et les odeurs de toutes sortes se développent à l’envi : surtout celle du gasoil, qui imprègne tout, des vêtements aux vivres frais et au pain, qui se couvre très vite de moisissures et de champignons qu’il faut gratter et découper avant de manger ce qui reste des belles miches embarquées à Saint-Nazaire.
Les repas constituent une sorte d’exploit d’équilibriste. La moitié de la vaisselle et des couverts est partie, plus ou moins en morceaux, dans la cale. Le roulis permanent empêche de se tenir à table, quand table il y a, car, dans le poste avant, il s’agit d’une planche plus ou moins bien calée sur les deux torpilles supérieures.
Dans ces conditions, pourtant, un homme se surpasse: le cuistot.
lebonJoseph17Il réussit à confectionner, dans son réduit d’un mètre carré, des repas convenables et même bons, malgré la pénurie rapide de vivres frais -au bout d’une semaine- et de citrons, indispensables pour compenser les problèmes de gencives. Avec des conserves, il parvient à nourrir tout le monde, et bien.
Il prépare même un gâteau d’anniversaire pour le premier officier de quart, qui en est ému aux larmes. Evidemment, manger est un exploit. On tient son assiette d’une main et on tente de la remplir avec ce que contient le plat ou la soupière. Mais le mouvement de balancement expédie le contenu de l’assiette par terre, sur la table, la planche ou la couchette!
Il existe des moyens ingénieux de compenser les effets pervers du roulis, comme ce réseau de ficelles auquel on suspend la soupière dans le vide, en espérant que la pesanteur va maintenir le récipient à l’horizontale... Les résultats sont mitigés et les chemises en prennent un coup. Heureusement qu’il s’agit le plus souvent de chemises civiles, en laine et à carreaux de couleur, que Flachsenberg tolère, comme la plupart des autres commandants, pas tous! au nom du confort qu’elles apportent en comparaison avec les chemises réglementaires de la Kriegsmarine.
Pendant la longue traversée, en dehors de la conduite du sous-marin et des exercices quotidiens d’entraînement au combat, les hommes tentent de dormir, lisent les romans à 20 pfennigs qui constituent la bibliothèque de bord et les illustrés allemands ou français Signal et la revue de la Kriegsmarine qui se tachent jour après jour d’huile, de traces de doigts et de reliefs divers. …… » (Ndr : Le journal de bord du U-1221 subira le même sort !)
La radio joue en sourdine, en dispensant les airs en vogue à Berlin, de Lili Marlène, de Beethoven à Wagner, interrompue régulièrement par les communiqués du Hauptquartier de la Wehrmacht.

Punitions : Flachsenberg relit les notes qu’il a prises lors de la conférence sur la conduite d’un sous-marin, qu’a donnée le Kapitänleumant Wolfgang Lüth, commandant de l’U-43, considéré comme un officier plein d’avenir.
Un véritable vade-mecum du parfait commandant ! Lüth y a tout abordé : l’esprit des sous-mariniers à bord, l’attitude que le commandant doit observer, les punitions, les vigies, la consommation d’alcool, le sommeil et le temps de repos, les menus, les repas au carré, les loisirs, etc. : Si un matelot se montre arrogant vis-à- vis d’un supérieur ou a autre chose à se reprocher qui, normalement, lui rapporterait « trois jours », je ne lui inflige pas ces trois jours, mais je le fais coucher « à la dure ». Il dort alors sur le pont, sans matelas ni couvertures, et, comme cela manque de confort, cela est plus efficace que trois jours d’arrêts qui seraient en outre inscrits sur son livret matricule. (. ..) Il semble difficile d’imaginer que les hommes de vigie soient de quart pendant quatre heures sans échanger le moindre mot, surtout quand il s’agit de croisières de plusieurs mois. S’ils font bien attention, j’admets également qu’ils s’accroupissent dos contre dos avec les jumelles aux yeux et qu’ils se racontent, à bâtons rompus, leurs petites histoires (...) Normalement l’alcool est interdit en croisière contre l’ennemi. Mais les hommes sont reconnaissants d’être autorisés à prendre de temps à autre une gorgée à la bouteille. Par exemple, quand un bateau a été coulé, à l’occasion d’un anniversaire ou encore quand un marin a été trempé en travaillant sur le pont.

Témoignage du Kapitänleutnant Reinhard Suhren commandant l’U-564 dans la mer des Antilles :
« Nous quittions toujours notre base avec une cargaison de viande, de légumes et de fruits frais. Les secondes toilettes avaient été utilisées comme garde-manger. Lorsque les aliments frais étaient consommés, nous nous retournions vers les conserves mais peu importait que les vivres fussent frais ou en boîtes de conserve.
Ils sentaient toujours le gasoil. Le plus gros problème était celui du pain et dans cette atmosphère de transpiration et d’humidité il devenait très vite rassis. Les miches ressemblaient à des lapins recouverts de champignons chevelus. Nous devions en enlever le plus possible avant de les manger.» (Cf. photo de la cuisine du U-1221).

Korvetten Kapitän Peter Erich Cremer commandant le U-333 (classe VlI-C), né à Metz en 1911 :
lebonJoseph18 2«Impossible d’approcher de jour les convois. La plupart du temps, on reste au fond à l’écoute, toutes les lumières éteintes pour ménager nos accumulateurs, les hommes allongés sur les couchettes pour économiser l’oxygène. Rester couché à écouter ronge les nerfs. Sans une minute de répit, on entend à travers la coque le "bing bing" des explosions des bombes d’avion et des grenades, le martèlement des hélices des destroyers. Tous ces bruits nous plongent dans un état où l’abrutissement et la peur se confondent. Soudain, les escorteurs sont sur nous et nous arrosent. C’est à devenir fou. C’est une attente nauséabonde et je me demande combien de temps les nerfs de mes matelots résisteront à ce concert terrifiant. Ils sont soumis à une tension trop dure, trop constante. L’ennemi domine désormais l’océan et les chances de survie au combat des U-Boote sont tombées à une sur cinq. Ces fortunes heureuses étaient encore en 1942 de trois sur cinq.
On navigue maintenant plus de 20 heures en immersion par jour. C’est terriblement éprouvant. Afin de ne pas être repéré et pour soulager les nerfs des hommes, je débranche très fréquemment la ronde électrique, le gyroscope et le Metox dont le cri continu met les nerfs au supplice. Le résultat est que nous ne savons plus où nous sommes. Personne ne saura jamais combien nous souffrons. »

Une mer trop calme n’a jamais fait un bon sous-marinier !
La navigation en Méditerranée a ses règles, qui ne sont pas celles de l’Atlantique. La densité des torpilleurs, la présence des navires de guerre britanniques et les apparitions fréquentes de nombreux avions de la Royal Air Force basés notamment à Malte contraignent les U-Boote à rester en plongée toute la journée et à ne faire surface que la nuit. Ce mode de navigation a aussi des conséquences pour la vie à bord : la fatigue est plus grande, la température ambiante plus éprouvante qui favorise une forte transpiration, l’air devient plus facilement polluable interdisant la cuisson régulière des aliments car elle génère de la condensation le long des parois du sous-marin, d’où des repas froids dans la journée et chauds de préférence la nuit, quand la navigation en surface permettait d’ouvrir les panneaux et de faire rentrer l’air frais. En d’autres termes, sur le plan de la vie quotidienne, le jour devient nuit car on dort et vice versa on s’active sous les étoiles à l’heure où il faudrait se reposer ! La fatigue se fait sentir plus vite et plus fort, et chaque membre de l’équipage se repose à chaque fois qu’il le peut, étendu souvent en nage, sur sa couchette. La Méditerranée présente une densité variable de l’eau de mer qui ne permet pas aux hydrophonistes de juger les bruits d’hélices ennemies avec la même précision que dans l’Atlantique.
De même le froid était un ennemi redoutable sur les mers où naviguaient les convois en direction de l’Union Soviétique. Je puis vous affirmer que j’ai préféré, tout comme l’ensemble de l’équipage, partir patrouiller au large des côtes canadiennes que de nous voir arpenter les contours de la Nouvelle-Zemble dans l’Océan Glacial Arctique ! Car, à côté du magma givrant qui glaçait les superstructures au point de faire ressembler le sous-marin à une banquise flottante, la mort par le gel ou la noyade accidentelle nous apparaissaient bien plus redoutées que les escortes adverses au milieu de l’Atlantique : le seul avantage retiré, plaidait-on à l’amirauté pour rassurer les frileux, c’était le degré de salinité propre à provoquer des couches thermiques gênant diablement le radar allié.

Un homme qui ne mouille pas sa chemise n’a pas sa place à bord !
Avec 56 hommes à bord, (type IX-C40) l’apport d’un médecin est primordial question hygiène, santé et moral. Mais le nôtre était un ardent adepte des chemises brunes. Son optimisme à tout crin boostait l’ardeur vacillante de ceux qui, de plus en plus nombreux parmi les sans-grades, doutaient du sursaut promis par l’entrée en vigueur des nouvelles armes, les Wunderwaffen. Même lorsque le sorcier a la tête dans la mélasse, il rêve encore de panacée surnaturelle qui changerait le cours de son destin ! Et dire que certains adeptes y ont cru jusqu’au bout !
La claustrophobie n’est pas de mise car tout est fait pour la chasser des noires pensées. La gazette humoristique de bord, faite d’informations diverses (santé, géographie, Wehrmachtsbericht..) permet de détendre l’atmosphère claustrale. Une boîte à lettres recueille les doléances, les suggestions et les initiatives pour gommer l’agressivité latente des hommes confinés dans ce vase clos. Parfois, une soirée récréative, longtemps préparée, apporte une touche optimiste à la mission confiée. Jeux de cartes, skat , ne-te-fâche-pas, blagues, jeux de mots et d’esprit, tournoi intellectuel, soirée-cabaret rythment les passe-temps.
Le médecin veille: constipations, diarrhées, bronchites, maux de gorge soignés au bleu de méthylène n’ont plus de secret pour lui. L’aspirine est la panacée maison. La crème nivéa est largement utilisée d’abord comme un baume contre l’humidité pour prévenir le chien rouge , puis comme une couche de protection contre la salinité et les paquets d’eau de mer lors des vigies. Sous une veste de treillis et un chaud gilet, se trouve l’écharpe abdominale (Leibbinde) à porter obligatoirement en cas de naufrage. Le gilet de sauvetage (boudins de kapok, duvet végétal imputrescible et imperméable) est à portée de main. Par gros temps, le veilleur porte dans la baignoire un ciré en caoutchouc gris foncé; il est affublé d’un suroît et doté d’une ceinture spéciale de sécurité munie d’un mousqueton. Ce qu’on appelle séances de rayons ultra-violets (Hohen Sonnenstrahlen) d’abord espacées puis plus rapprochées qui permettent de compenser le manque de clarté naturelle, ce sont tout simplement des promenades et des gardes autorisées à tour de rôle sur le pont pour se reconstituer de la vitamine D. L’eau potable était très rationnée d’autant plus que nous avions décidé d’un commun accord de remplir avec du gasoil l’une des soutes à eau pour augmenter le rayon d’action et nous prémunir d’une éventuelle panne de carburant. Cela étant, il fallait donc se rabattre sur l’eau de mer (qui pouvait être chauffée) pour faire sa toilette. Un dessaleur permettait également de la filtrer. La Kriegsmarine fournissait un savon spécial qui moussait à l’eau de mer mais qui n’était pas très apprécié car il nettoyait mal le sel sur la peau et, de plus, laissait une couche de crasse. Cambouis, odeur de diésel, gaz empuantis parfument l’intérieur. Les relents de l’eau de Cologne spéciale (Parfum Colibri) dont chaque sous-marinier s’imprègne ne sont que de surface; la puanteur corporelle libère un bouquet infernal, dégagé par d’authentiques boucs humains.
La quantité d’eau étant insuffisante durant la mission, le nettoyage, le rasage, les bains et la lessive étaient bâclés et surtout remis à plus tard : c’est pour cela que la plupart des sous-mariniers rentraient barbus de leur patrouille. On nous avait parlé de la fraîcheur des eaux canadiennes, 7 à 10°C qui, forcément, refroidissait par induction les tôles et vous donnait la sale impression de dormir dans une chambre mortuaire.
Par gros temps, c’est très éprouvant d’utiliser le schnorchel car chaque fois que le clapet se ferme, les diésels aspirent tout l’air qui se trouve dans le sous-marin. Ensuite, son utilisation vous oblige à ralentir, je crois que la vitesse était limitée à 4 ou 5 nœuds. Enfin, il y a l’effet marteau. Le nez du sous-marin a tendance à monter puis à retomber en fonction de la force des vagues ; nous aussi à cette occasion dansions la samba !
La rigueur de cette vie interne s’atténuait avec la familiarité bon enfant, parfois forcée qu’on distillait, pour dérider les gars soumis à l’Alltag, au train-train quotidien.
Dès l’instant où l’U-Boot amorce sa plongée, on passe en propulsion électrique. Que se passe-t-il à l’intérieur de ce zeppelin des eaux ? Pour le confort, la santé et l’efficacité de l’équipage, le capitaine cherche à maintenir une pression interne identique à celle existant en surface. Mais à mesure que le bateau s’enfonce, la pression externe s’accroît rapidement: il faut limiter la profondeur. A 15 kg/cm² (à moins 150 mètres de profondeur) les tôles commencent à se disjoindre et il faut actionner les Lenzpumpen et serrer les joints pour éviter que l’eau ne s’engouffre et transforme, par implosion, le cigare d’acier en un vulgaire sac de papier éclaté. Remplis d’air, les ballasts donnent de la flottabilité qui maintient en surface la lourde coque d’acier épaisse d’environ trois centimètres. En plongée ultra-rapide, 1’eau de mer qui pénètre dans les ballasts en y expulsant l’air réduit alors la flottabilité du sous-marin au point qu’il commence à plonger. L’extrême danger c’est la Vorderlastung, cet excès de poids liquide embarqué à l’avant qui peut entraîner le déséquilibre, ce qu’on appelle dans le jargon une forte pointe négative et la Grundberührung (le toucher du sol marin). Nous en avons vécu quatre (d’abord en Baltique, puis près des îles Féroé ensuite deux fois aux abords des côtes norvégiennes) ! Et je peux vous dire que vous recommandez votre âme au Bon Dieu après la terrible secousse qui vous a expédié tête en avant dans les décors du blindage ! Le cœur explose, la pression artérielle vous cogne à mort dans le ciboulot. Pourtant, on reprend vite ses esprits malgré les coupures et autres bosses douloureuses !
En plongée normale, après les ordres relayés successivement par le capitaine et le L.I., le pilote peut diriger les mouvements de descente et de remontée (sur lesquels interviennent différents assistants), soit en inondant les ballasts par l’eau de mer soit en faisant souffler de l’air comprimé afin de chasser l’eau de mer des ballasts (c’est la montée en surface). L’assiette et l’immersion sont assurées par les barres de plongée et les deux hélices.
Les 56 officiers et marins qui vivent à bord d’un IX-C sont entassés, comme des sardines de circonstance, les uns sur les autres. L’espace est si restreint qu’il est pratiquement impossible de jouer au déménageur, on peut juste esquisser quelques mouvements de culture physique pour éviter les courbatures et se repomper le moral.
L’eau de condensation tombe en goutte-à-goutte sur nous, surtout sous ces froides latitudes. Surnommée ‘pisse de tiques’, elle devenait un supplice dans nos habits de cuir (Ledergarnitur) alourdis et figés par l’humidité.
Rien de tel avant de prendre et de terminer le quart sur le pont que de siroter un bon café, un Negerschweiss- une sueur de nègre !!! Comment peut-on dans ce cas insulter par le mépris un breuvage aussi requinquant surtout lorsqu’on revient moulu de courbatures de la baignoire qui porte forcément bien son nom !
Les promenades sont réglementées : chaque passage dans la Zentrale doit être signalé puisqu’il faut chasser l’eau et équilibrer avec de l’air pour compenser le poids humain qui se déplace. Le m’as-tu-vu avec les officiers se solde par un salut journalier à supérieur ; les garde-à-vous à répétition ne sont pas de mise. C’est en général le plus ancien en grade qui ordonne le à-vos-rangs fixe ! (Achtung !) lorsque le capitaine se présente. Chaque marin ne salue qu’une fois dans la journée les gradés qu’il rencontre sur son chemin. L’étiquette à bord ne va pas jusqu’à y présenter chaque matin les couleurs, ce genre de manifestation se faisant par contre durant la Hafenliegezeit, nos séjours dans les ports. Lors de la remontée en surface, de rares privilégiés, lorsque c’est leur tour de pouvoir accéder au pont, peuvent aspirer goulûment l’air du large et, pour les accrochés du tabac, griller continuellement des cigarettes. Un allume-cigarettes bricolé leur facilitait la tâche en haut du kiosque.
Faut-il sans cesse le rappeler mais les mauvaises odeurs restent une calamité: certaines puanteurs agressives dominent toutes les autres (cales nauséabondes, déchets de la cuisine, horreurs des W.C. car les matières fécales doivent être expulsées par pression , il faut avoir le coup de main !) mais ce sont surtout les vapeurs de gasoil qui provoquent d’affreuses céphalées ou des inappétences symptomatiques. Le bâtiment est en permanence agité par des mouvements violents lorsqu’il navigue en surface. Une mer d’huile, un rêve! Hélas, que ce soit dans les Western Approches ou dans les eaux du Gulf Stream, la bête tangue, roule, monte sous l’effet des vagues, heurtée par des lames de travers, ou ballottée dans des creux (Wellentäler) à vous retourner l’estomac.

Supériorités ennemies
Même si les ingénieurs allemands arriveront sur le tard à mettre au point le Naxos Fumb7 qui permettait de repérer les ondes ASV des Anglais, nous n’avions plus la maîtrise des océans. L’aviation alliée, les 2 500 navires de guerre étaient devenus des ennemis mortels. Die goldenen Zeiten waren vorüber. L’âge d’or était dépassé. L’asdic ennemi émettait des pulsations d’énergie sonore qui se déplaçaient dans l’eau et qui étaient réfléchies par une cible. L’écho était reçu, amplifié et enregistré. Le temps écoulé entre la transmission et la réception indiquait la distance entre l’asdic et la cible. Par ailleurs, qui avait pu imaginer que Sir Max Horton, nouveau commandant des Western Approaches, une large zone de l’Océan Atlantique située sur la côte ouest de Grande-Bretagne, eût pu réorganiser aussi parfaitement les méthodes de défense et de contre-attaques britanniques, notamment avec une salle d’opérations où les Wren’s (auxiliaires féminines de la Navy) déplaçaient avec une longue gaule les navires et les convois sur le grand damier aquatique (nous l’apprendrons après guerre). Sûrement pas le BdU !
Les patrouilles aériennes articulées autour de porte-avions, les nouveaux moyens de lutte anti-sous-marine avec leurs tonitruantes charges de profondeur, le décryptage des messages de l’Enigma par le système ULTRA (expliqué par ailleurs), les appareils de détection de plus en plus sophistiqués grâce au radar centimétrique arrivaient désormais à balayer de leur emprise des secteurs de plus en plus larges où les U-Boote étaient devenus machina non grata ! Nous le subodorions, la preuve nous fut apportée après guerre, car le nouveau radar Huff Duff permettait aux escorteurs de repérer à 10 km à la ronde un U-Boot. Sur l’écran manié par un radio expérimenté, le repérage d’une proie se faisait même à 30 km pour un avion.
Ces avions, tels des gerfauts, surgissaient soit en plein jour, le soleil dans leur queue pour éblouir de face les mitrailleurs, soit par nuit noire avec leur projecteur Leigh soudainement braqué. Le système radar Naxos sur qui Doenitz fondait beaucoup d’espoir était surclassé : voilà peu il était capable d’avertir les capitaines allemands de la détection des ondes émises que lançait sur eux le radar centimétrique ennemi. C’est que maintenant les émissions de relèvements goniométriques de la Royal Navy guidaient les avions du Costal Command sur les sous-marins piégés par leurs propres ondes réceptrices du Naxos devenu obsolète ou par les transmissions radio d’un Funker imprudent ! Le coup de fouet destiné au tigre, c’est le dompteur qui le prenait en pleine figure.
Nous faisions contre mauvaise fortune bon cœur ! Même si la grandiloquence de Doenitz ne comblait pas pour le moment notre infériorité numérique, le BdU multipliait les déclarations et les réflexions stratégiques pour nous favoriser un grandiose et époustouflant programme de sous-marins. On pouvait faire confiance au Lion !
Ne disait-il pas que le projet Elektro-Boot s’avérait plein de promesses ! L’illumination dans la grisaille des revers ! Grâce à une coque profilée et aérodynamique, avec des batteries de nouvelle génération et son schnorchel, la trouvaille (Neufassung) du Herr Professor Walter disposerait d’une vitesse de navigation sous-marine plus accrue, pouvant aller jusqu’à 16 nœuds pendant une heure et demie sous les flots !
Il pourrait traverser l’Atlantique jusqu’en Argentine sans faire surface, foi du Groß Admiral !
Signe d’avancée technologique, notre schnorchel nouvellement installé nous permettait dorénavant de franchir facilement les passes de transit, là où, secret de polichinelle, guettait sans arrêt l’aviation adverse, un peu comme l’Esquimau au bord de son trou qui attend que le phoque revienne reprendre son bol d’air à la surface !
Les grenades sous-marines constituaient la menace la plus effroyable à bord d’un requin d’acier ! Souvent, en cas de marmitages, il fallait se poser au fond, y faire le mort ou alors filer dare-dare en leurrant les patrouilleurs de surface avec les Pillenwerfer . En cas d’immobilisation sur les hauts-fonds, le gaz carbonique était mesuré grâce à un appareil dont le papier virait au rose dès que le seuil critique était atteint. On devait alors impérativement remonter même si durant des heures, la consommation d’air (Luftverbrauch) avait été réduite au minimum et les Sauerstoff flasche (bouteilles d’oxygène) que lentement vidées. L’asphyxie insidieuse rôdait. Plus une minute à perdre, il fallait crever la surface ! « Que nous réserveraient comme surprise les flots là-haut ? »

Alerte ! Avion !
lebonJoseph19Le 9 octobre 1944, à 5 heures 47 pour être précis, une de nos vigies venait d’entrapercevoir à bâbord, entre une trouée de nuages, les phares d’un Sunderland évoluant dans un ciel mi-couvert.
Distance d’approche, environ 4 km. Aussitôt, une sonnerie stridente, criarde, digne des trompettes de Jéricho au point qu’elle aurait été à même de faire trembler les ex-voto des marins, ces objets de reconnaissance en la sainte Providence accrochés aux parois des autels bretons ! sonna le rappel immédiat dans la Tauchstation. En moins d’une seconde chaque vigie doit plonger dans le vide, pieds en avant en dégringolant l’échelle raide, mains coulissant le long des deux rambardes! Qu’importe les contusions et les mauvaises réceptions au sol car il faut qu’en l’espace de 10 secondes, le sous-marin puisse entamer sa descente et brûler la politesse à l’avion ennemi qui, en ce laps de temps, n’est déjà plus qu’à quelque 3 km.
Dès la sonnerie stridente de l’avertisseur enclenchée, on stoppe les moteurs diésel en fermant les tuyaux d’arrivée d’air (Zuluftschacht) et d’échappement (Auspufventil) pour débrayer les arbres entraînant les hélices. Le capitaine, agrippé au volant de verrouillage du kiosque, y pèse déjà de tout son poids, jambes ballotant en l’air, pour précipiter la fermeture. « Fluten ! Inondez les ballasts ! » ordonne-t-il. Son Chef-Ingénieur relaie l’ordre et à partir de là, chaque matelot connaît sa leçon même si les gars cloîtrés en bas ignorent encore la nature du danger. D’ailleurs il n’y a pas 36 dangers possibles : soit c’est un avion, soit un torpilleur ou un destroyer ! Pour le moment, aucun homme confiné à l’intérieur ne sait réellement ce qui se passe au dehors, encore moins si l’U-Boot va subir une attaque ou s’il faut procéder par précaution à un changement de route pour leurrer le torpilleur ennemi. On obéit aux ordres. Les yeux fixés sur le tableau lumineux où clignotent pour l’instant les lampes verte et rouge des moteurs diésel, -donc interdiction d’entamer la plongée- le Leitende Ingenieur vient de lancer l’ordre suivant : « Tauchzellen 5, 4, 3, 2 à ouvrir », le réservoir n° 5 devant être le premier à être rempli pour alourdir l’avant du bateau. Les matelots affectés aux ballasts sont à pied d’œuvre pour tourner à folle vitesse le volant qui permet le remplissage et face à l’ordre reçu, crient à tour de rôle : « 5 rempli, 4 rempli, 3…, 2… » sachant que les réservoirs 4, 3, 2 sont dédoublés de part et d’autre du submersible.
Les renseignements qui défilent à vitesse grand V arrivent auprès de l’Ingénieur en même temps que l’extinction des lumières des moteurs diésel. Bon signe, le sous-marin peut entamer maintenant sa vraie bascule vers le fond à – 20 secondes. Les électromécaniciens, eux aussi, ont démarré les E-Maschinen. Et dès lors que l’U-Boot plonge dans un angle compris entre 25-30°, l’on ressent une drôle d’impression comme si l’on se retrouvait en haut d’un versant devant lequel on serait obligé de dévaler la pente, sans pouvoir aucunement en contrôler la glissade. Mesure de précaution, le dernier réservoir, le n° 1, vient d’être ouvert après la maîtrise de la plongée.
lebonJoseph20Cette dernière ouverture n’est enclenchée que si l’on est sûr de ne pas accentuer le surpoids, car en cas de défaillance des purges ou d’une quelconque défection d’instruments nécessaires à la navigation sous-marine, c’est la chute vertigineuse à laquelle plus aucune parade ne pourrait répondre. Toujours dans sa phase de descente, au milieu des ruissellements assourdissants provenant du remplissage des réservoirs mais aussi de la résistance à l’eau que rencontre le kiosque, vous avez l’impression bizarre d’être comme embarqué sur un traîneau-tonneau, lequel dérape de manière drôle, avec son humeur de cabri indocile, car il se frotte à la densité de l’eau de mer qui varie suivant sa salinité. « Réservoirs tous ouverts, nous sommes à - 40 mètres, le bateau tombe vite » : le L.I. énumère au patron les différentes opérations de plongée. « Nous allons atteindre les 60 mètres, 45 secondes depuis notre immersion ! Pente à 25 °.» (L’avion n’est plus qu’à 1 km). A présent l’U-Boot qui plonge doit s’alléger des surpoids d’eau encore contenue dans les réservoirs : « Alle Zellen zu leeren. Videz tous les caissons ! » Car, en cette phase de descente, pour ne pas voir s’abîmer le bâtiment dans les tréfonds, le L.I. ordonne la purge des caissons d’assiette avant (Untertriebzelle) afin de les remplir cette fois d’air, car ils sont habituellement gorgés d’eau. (L’opération-retour de ré-emplissage d’eau allait d’ailleurs être entreprise quelques heures plus tard vers l’arrière lorsque le lieutenant de vaisseau Ackermann ferait procéder à l’émersion pour ne pas propulser inconsidérément son sous-marin trop allégé à la surface, au nez et à la barbe de l’ennemi !) L’air comprimé à 20 bars expulse en quelques secondes l’élément liquide par les Entlüftungsventil que 2 marins consciencieux manipulent en vérifiant l’étanchéité des tuyaux désormais soumis à la surpression. On constate que les ordres sont transmis, retransmis, relayés, re-re-transmis pour chaque geste, cette démarche est la condition sine qua non d’une parfaite conduite sous-marine. Un second maître au poste central, sur ordre du capitaine, va équilibrer la pression intérieure d’autant plus que les oreilles bruissent et que l’ouïe disparaît, occultée par des acouphènes bien désagréables en raison de la surpression. « Auf 90 Metern gehen ! Descendez à – 90 mètres ! » ordonne le commandant. Les caissons d’assiette du sous-marin sont maintenant entièrement équilibrés. On devrait présentement s’attendre à des explosions, mais l’aéronef, heureusement, n’avait pas dû nous détecter ! Effectivement, les hydrophones ne décèlent aucun bruit en surface, l’avion ayant poursuivi sa route. Comme l’eau est très conductrice de bruits, il nous est arrivé d’entendre des explosions de bombes larguées par des avions canadiens au retour de leur mission, préférant après tout s’en défaire dans les flots plutôt que de les ramener sur la piste. Tout déplacement à bord désormais entrepris par un diarrhéique ou un énurétique perturberait la profondeur constante de cette course sous l’eau, auquel cas un chauffeur mécanicien spécialement affecté aux vannes des caissons d’assiette agit dessus, tantôt en purgeant, tantôt en inondant les réservoirs à l’avant comme à l’arrière. Comme le crépuscule va tomber, le Kommandant ordonne : « Auf Sehrohrtiefe gehen, Immersion périscopique. Beide E-Maschinen, halbe Fahrt, enclenchez les 2 M-électriques, vitesse moyenne.» L’Ingénieur commande alors au barreur de baisser les safrans avant, de hausser les arrières et de faire injecter, grâce aux leviers de commande des purges, de l’air comprimé dans les ballasts pour en chasser l’eau et faire onduler le cétacé gris acier sous la surface agitée des flots.
Nager entre deux eaux, c’est l’affaire du L.I et de son chef-pilote. La force motrice générée par les deux hélices permet de maintenir le bâtiment à un niveau homogène de façon que le périscope, jouant à saute-mouton avec les vagues , ne soit pas la verrue qui pointe comme un flambeau sur un pif ! Cela s’appelle durchpendeln, stabiliser le bateau comme un pendule régulier sans montée ni descente, en chassant au besoin l’eau ou l’air parasite dans certains ballasts. Les marins préposés à la surveillance de la bonne marche ont pris place dans le poste central, le timonier-chef fait effectuer de petites rectifications sur les gouvernails de direction et les barres avant par l’entremise des Rudergänger (barreurs).

L’art de se poser au fond. Auf Grund legen.
L’ordre lancé par le capitaine pour se poser au fond était suivi aussitôt de son commandement « réactivez les sondes de profondeur ». L’avant de l’U-Boot commence à s’incliner alors vers le bas dans un angle de 2 à 3°.
Dans les eaux à fort courant comme c’était le cas devant les côtes de Nova-Scotia, principalement dans les bancs sablonneux des caps Conso et Sable précisément, l’ingénieur-chef cherchait à piquer davantage l’avant du bateau dans le sol marin en cherchant à le planter avec un angle d’inclinaison pouvant aller jusqu’à 7°.
Pour ne pas endommager le gouvernail de direction arrière et les hélices, il faut éviter à tout prix le surpoids d’eau embarqué dans les caisses d’assiette à l’arrière. En présence de sables mouvants instables, nous devions, avant de nous caler au sol, sortir les périscopes de crainte de les voir bloqués par les alluvions soulevées qui pouvaient de ce fait s’immiscer dans les presse-étoupes en les rendant grippés.
Par transmission verbale des ordres (Befehlsübermittlung, B.Ü.) donnés à toutes les salles, voici ce que l’on entendait de la part du L.I. : « Bateau dirigé vers le bas. »
Lorsque la sonde précisait qu’il ne nous restait plus que 2 mètres d’eau sous la quille, on stoppait les machines.
Le L.I. poursuivait : « Le bateau va toucher le sol, la profondeur de l’eau est à 95 mètres. »
Le capitaine rétorquait : « Posez le bateau. » Le L.I. répétait l’ordre, faisait inonder les ballasts et remplir les caisses d’assiette . En même temps était mesurée la densité de l’eau de mer.
Le temps pour la quille de s’enchâsser dans le plancher marin, on percevait le toucher au sol au travers de légers soubresauts et par le biais de raclements qui crissaient sur les tôles. L’équilibre quasi horizontal à l’intérieur de notre espace de vie, la jauge de profondeur qui ne signalait plus de dérapage possible nous indiquaient alors que nous étions bien nichés ! Normalement, pour stabiliser un bateau, une masse d’eau embarquée de 1 à 2 tonnes suffisait. Mais nous avons connu des mers fortes qui accentuaient les turbulences au fond. Par fort roulis, la stabilité devait être corrigée par un surpoids d’eau accentué sur la proue pour lutter efficacement contre les courants tumultueux qui brassaient galets et autres pierrailles. Les giboulées de mer !
A force d’habitude, ces manœuvres devenaient routinières mais l’une ou l’autre fois, en raison de courants intenses circulant au fond à 4-5 nautiques, notre sous-marin encaissait des embardées, des chocs bizarres qui nous rendaient préoccupés et pensifs. Dès que le poser du sous-marin était effectif, se mettait en place l’unité de surveillance (1 officier de garde et l’équipe technique) qui pouvait encore être étoffée davantage suivant la situation rencontrée, tels un enlisement, une entrée anormale d’eau, un éboulis provoqué par le raclage de la quille ou, parce que le submersible avait été drossé fortement le long d’un raidillon sous-marin. D’ailleurs tout bruit inhabituel était à signaler aussitôt. Toutes les mesures des appareils (jauges de profondeur, balance d’équilibre, boussole électrique, cadrans de pression, régulateurs des ballasts et des caissons d’assiette) étaient constamment surveillées et notées toutes les demi-heures dans un registre.
On analysait également, et surtout, la qualité de l’air intérieur pour procéder, en cas de prolifération de gaz, à la purification de l’atmosphère par un apport d’oxygène. Comble de précaution, dès la stabilisation sur les dépôts coquilliers, on se mettait à purger immédiatement la jauge de profondeur car un sol trop pierreux pouvait la bloquer. (En cas d’obturation par des sédiments, on envoyait de l’eau sous pression par la pompe principale de vidange –Hauptlenzpumpe- comme contremesure pour expulser cet encrassage de fange). Hormis les hommes de veille, tous les autres hommes rejoignaient leur couchette, jouaient aux cartes ou lisaient. Tout autre bruit était banni. Lorsqu’arrivait le moment de se libérer du sol, le chef du U-1221 s’écriait : « Décollez l’U-Boot du sol. Equipe au Poste d’immersion, mettez-vous en place.» Tout d’abord, il fallait vérifier s’il n’y avait pas de navires ennemis à proximité. Bien sûr, lors d’une immersion prolongée, on testait à tout bout de champ les compresseurs et les pompes de cale et de vidange pour savoir si le remplissage d’air des ballasts s’effectuerait correctement au vu de la salinité de l’eau de mer. Les caisses d’assiette avant étaient vidées progressivement de leur eau jusqu’à ce qu’on disposât d’une poussée permettant bientôt le décollage.
Car l’opération du levage devait s’effectuer lentement pour ne pas faire fuser le sous-marin, proue dressée en l’air comme un nez de Pinocchio ! On faisait appel à l’équipage qui venait d’être réveillé par le branle-bas pour le mettre à la tâche, à l’exception des postes occupés dans la Zentrale et dans la salle des machines, et l’on faisait promener tout ce beau monde d’avant en arrière ou vice versa, ceci pour activer définitivement la libération du sol. Imaginez que nous avons procédé tous les jours à ce type de manœuvres le long des côtes canadiennes. Brave U-1221 qui a tenu le coup !

Attaque aux torpilles le 23 octobre à 13 heures 19 !
L’érection du périscope de veille surgi comme une asperge à fleur de vagues (évoluant à une vitesse de 4 nœuds sinon on le voilerait) permet à l’officier de veille de visionner la surface de la mer. Assis sur son siège de cuir, le gradé a enfourché un pilier sophistiqué avec lequel il manipule avec dextérité le double pédalier : il peut ainsi faire tourner rapidement ou non le périscope, à gauche ou à droite, en fonction de la pédale choisie. Sa main gauche élève ou rabaisse le périscope par le biais d’un levier tandis que la dextre manipule un miroir-réflecteur mobile qui scrute à souhait le ciel comme la surface de l’horizon. En plaquant ses yeux experts sur le viseur du périscope soumis aux yoyos de la houle, ce qui nécessite la parfaire conduite horizontale sous l’eau, le veilleur dispose encore d’un écran pare-soleil avec un objectif de fort grossissement allant jusqu’à 6 fois . Une résistance électrique élimine buée et condensation !
lebonJoseph21Si le capitaine ou ses officiers de garde ont la particularité d’être les seuls à voir avec le périscope de veille, tous leurs hommes, privés de vue, écoutent : ne pouvant entendre le ronronnement d’un aéronef, ils en déduisent que ce sont des bruits d’hélices d’un navire ennemi qui s’avance vers eux. Un cri sort soudain de la bouche de l’observateur : «Vor uns läuft eine Beute zum angreifen. Schnell auf ihren Gefechtsstationen. » Branle-bas de combat ! C’est la fièvre à bord ! Le capitaine a foncé sans demander son reste sur le périscope d’attaque qui dispose du savant engrenage d’un conjugateur dont les données interfèrent à distance sur le dispositif des tubes lance-torpilles : un outil technologique incroyable dont les Alliés se saisiront.
Depuis pratiquement 6 semaines, l’équipage a joué de malchance. « Nous avons enfin une proie à portée de torpilles qui avance à cap régulier et à vitesse constante ! Tout fonctionne à merveille, nous sommes idéalement placés devant elle de façon à intercepter sa trajectoire par l’entremise de 3 tirs de dispersion» jubile le vieux.
lebonJoseph22Dans l’objectif gradué du Zeiss Ikon où s’incruste la proie, apparaissent sur un tableau de bord (cf. photo du conjugateur avec ses deux boîtiers de commutation prise dans le U-1221) attenant au périscope des informations portant sur la distance de séparation avec le cargo (Entfernung), la propre position du sous-marin (ici, sur le dessin représenté en haut de la page, angle de marche de la cible, Lagewinkel 63 Backbord, déplacement bâbord 63°), le cap pris par la proie, sa vitesse, la route et la position d’attaque du U-Boot avec son angle de proue (90°- 63° = 27°) qui correspond à l’angle de tir (Schusswinkel) qui, lui, est en attente d’être impulsé sur le gyroscope de la torpille par le commandant. Une fois ces informations connues, si la cible reste centrée dans l’oculaire, le commandant sait où elle sera au temps T, c’est-à-dire au point d’explosion avec sa future torpille. Et donc il peut programmer le gyrocompas de la torpille pour qu’au temps ‘T’ elle rencontre la cible ! Ces données intégrées dans la Hauptrechenanlage permettent au capitaine, à partir de cadrans gradués, d’enclencher les tirs avec son Torpedofeuerschalter, lequel dispose de poussoirs indiquant la mise-à-feu ou non des 6 tubes lance-torpilles numérotés dans les chambres avant ou arrière des torpilles.
Comme on utilise rarement le télescope UZO de désignation d’objectif (Unterwasserzieloptik) installé sur la passerelle, en raison des avions ennemis-, c’est le pointage par le biais du périscope d’attaque qui est transmis électriquement à une machine à calculer (Vorhalterechner), couplée à deux boîtiers de commutation du TWR (Torpedorichtungs Weiser Anlage) qui indiquera la direction appropriée à faire prendre aux torpilles.
Le Vorhalterechner, forme de pré-ordinateur fournit au capitaine les coordonnées exactes de la cible en mouvement en se basant sur les données du système de visée, selon un procédé trigonométrique qui prend en compte les variations de la position du U-Boot. Avec des cames représentant différents paramètres, le conjugateur est relié mécaniquement à la base fixe du périscope d’attaque. Face à un convoi et en quelques secondes, sans changement manuel des données initiales, il est donc possible de dicter des lancements sur cinq cibles à la fois ! Cet équipement, unique au monde à l’époque, explique en partie les succès des U-Boote qui attaquaient en meutes. C’était une merveille d’électromécanique de l’information alors sans équivalent dans les autres grandes marines. Ces calculateurs de tir préfigurant les ordinateurs actuels avaient été conçus et fabriqués par la firme SAM (Siemens Apparate und Maschinen) . Une fois les calculs terminés, le calculateur relié électriquement aux tubes lance-torpilles précisait au commandant qu’il pouvait faire tirer les torpilles.
Comme on le constate, les sous-mariniers allemands de l’époque avaient des pré-ordinateurs qui leur mâchaient le travail et calculaient en conséquence l’angle gyroscopique qui était transmis électriquement aux torpilles. Une fois cette opération enclenchée, sur ordre du capitaine, le torpilleur-chef n’avait plus qu’à engager la mise à feu des torpilles via le Schussempfänger (récepteur de déclenchement de tirs). Bien évidemment, le coup d’œil averti du capitaine pour évaluer le cap constant de la cible était acquis avec la pratique, comme l’estimation de la distance et la supputation de sa vitesse en prenant plusieurs points de visée dans l’objectif du périscope au fur et à mesure de l’avancée de ladite cible. Il suffisait de mesurer la hauteur apparente du mât, pour savoir si le navire était chargé : dans ce cas son tirant d’eau était plus important dans l’eau et il fallait alors abaisser la profondeur de plongée de la torpille !
Le capitaine (ou l’I WO) tenait constamment la cible dans les croisillons de l’oculaire. Si la proie déviait à droite ou à gauche de sa route, le gyroscope restait fidèle à la direction impulsée et venait buter sur une sorte de fourche qui mettait en mouvement, par l’intermédiaire d’un piston à air comprimé, le gouvernail de direction vertical de la torpille qui était alors ramenée dans le droit chemin, et cela même avant son lancement.
Après leur éjection, les torpilles FAT ou LuT (système utilisé pour contrecarrer le zigzag des convois, voir récit de René Jansen) prenaient un cap prédéfini par le gyrocompas et filaient droit ou slalomaient en lacets vers la cible. Evidemment face à une cible mobile qui zigzague ou qui s’aperçoit in extremis du danger, c’est un cauchemar. Et cela le devint aussi pour nous ce jour-là, puisque, aujourd’hui encore, on ne connaît pas la cause de notre échec ! Comment le bâtiment visé, -la Lady Rodney-, a-t-il réussi à manœuvrer à temps pour éviter nos 3 engins restera à jamais une énigme pour l’équipage ?
(Ndr. Lors de leur double rencontre étalée sur 3 jours passée chaque fois à Bad Horn-Meinberg, les anciens du U-1221 qui s’étaient retrouvés en 1986, puis en 1996 évoquèrent constamment le sujet).

Lancement d’une torpille.
lebonJoseph23(Source : U-Boot VII C – Jacques Alaluquetas – Editions Grancher)
Le corps du tube lance-torpilles à l’avant ou à l’arrière d’un sous-marin est fermé à ses deux extrémités :
- par un vantail situé à la partie extérieure de la proue ou de la poupe qui assure l’étanchéité du côté de la mer,
- et par la culasse par où est introduite la torpille.
Lorsque le tube est fermé vers l’extérieur et qu’il est vide d’eau, les Torpedomixer ouvrent la culasse et souvent l’un d’eux s’accroche sous le rail de manœuvre qui tient la torpille suspendue pour la faire glisser dedans. Puis la culasse est refermée. Pour éviter tout accident, un dispositif de blocage empêche que ne soient ouvertes à la fois la vanne extérieure et la culasse (d’où la difficulté, lors du naufrage du U-1221, pour en extraire les rescapés).
En prévision du tir, cette dernière a été soigneusement refermée. Ensuite, le tube a été rempli par l’eau de la caisse d’eau placée au-dessus. Cette manœuvre a pour objet de compenser en partie la perte de poids lors de l’expulsion et d’éviter tout changement d’assiette du sous-marin pendant le lancement de la torpille.
Les bouteilles d’air comprimé haute pression ont, bien entendu, elles aussi été remplies au préalable.
Sachant l’ordre de tir imminent, les torpilleurs manœuvrent le verrou de mise à feu, et dès le feu vert donné, diverses opérations se produisent simultanément: le moteur de la torpille est lancé,
- le vantail extérieur s’ouvre et une puissante chasse d’air comprimé projette la torpille hors de son tube.
- Le tube vide est rapidement rempli par l’eau de mer qui s’y précipite en force puis on ferme le volet du panneau extérieur.
- Et au moyen de l’air comprimé, on vide l’eau engouffrée, dans un ballast spécial, la caisse d’eau.
- On peut maintenant mettre en place une nouvelle torpille et procéder à un nouveau lancement.
Comment parvenir à l’équilibre du bateau suite au départ des torpilles ?
Immédiatement après leur lancement, les tubes sont entièrement envahis par l’eau. Par une heureuse disposition, la torpille pèse à peu près autant que le volume d’eau qu’elle déplace, il y a égalité de poids avant et après le lancement. Lorsqu’on vide par air comprimé le tube pour le rechargement d’une nouvelle torpille, l’eau de mer qui s’est introduite par le vantail avant, est envoyée via le tube de vidange dans la caisse d’eau. Cet apport liquide rééquilibre la masse perdue de la torpille qui vient d’être lancée. Rappelons cependant que lors du tir des 3 torpilles, l’U-1221 est remonté de 11 mètres, (donc que son kiosque est apparu à fleur d’eau) avant de tomber dangereusement du haut d’un palier de 40 mètres dans un trou d’eau et d’avoir pu être stabilisé in extremis.
Mesurant 7 mètres de long et 53,3 cm de diamètre, la torpille pèse environ 1 500 kg et la mise à feu provoquant l’explosion se produit par influence magnétique ou par percussion du détonateur. Le sillage produit par les premières torpilles à moteur à air comprimé était très visible ; il provenait à la fois du passage rapide dans l’eau mais aussi des nombreuses bulles d’air dégagées par le moteur. C’était là un gros inconvénient, car le bâtiment visé réussissait dans certains cas à manœuvrer à temps pour éviter l’engin dont il pouvait suivre la route tracée à la surface. L’U-Boot devait donc exécuter ses lancements d’aussi près que possible (400 à 500 mètres).
Les torpilles à influence magnétique causèrent bien des déboires à leurs utilisateurs au début de la guerre. De nombreuses patrouilles furent effectuées sans résultats, au grand mécontentement des équipages. Il fallut attendre février 1942 pour qu’une nouvelle technique soit mise au point définitivement.
A partir de 1943, un nouveau type de torpille G 7a, à tête chercheuse FAT évoluant en lacets, attirée par le bruit des hélices des navires marchands naviguant en convoi, fut expérimentée avec succès.
Au printemps de l’année 1944, la torpille Zaunkönig (troglodyte mignon) T5, dotée du système LUT (Lage Unhabhängige Torpedo), engin amélioré à tête chercheuse destiné à la destruction des escorteurs de convois, pouvait couvrir des distances de 12 000 mètres, en lacets multiples (zigzags) de 800 à 1 600 mètres, avec succès ! Les torpilles acoustiques avaient la particularité de se diriger automatiquement sur la direction du son émis par les bruit des hélices ; 16 capteurs de bruits situés sur les gouvernails de la torpille lui donnaient sa trajectoire après avoir quitté le tube de lancement même sans avoir vu la cible ! Ces torpilles très difficiles et même impossibles à éviter étaient lancées à grande distance, de manière à se faufiler dans les colonnes des convois dont le cap avait été idéalement ciblé par le conjugateur. Les Alliés imaginèrent les bruiteurs accrochés derrière les navires de commerce, les foxers sur lesquels se précipitaient les torpilles. Ces tirs lointains devenus possibles à plusieurs kilomètres, tout au moins en ce qui regardait leur chemin suivi, il restait la profondeur de plongée, qui devait non seulement demeurer constante, mais aussi être réglable à volonté. Cette profondeur reposait sur la manœuvre des gouvernails horizontaux de la torpille commandés par deux appareils distincts : un piston hydrostatique et un pendule. Le piston était mobile, il recevait sur une de ses faces la pression de l’eau, tandis que l’autre face subissait la poussée d’un ressort antagoniste dont l’effort était réglé pour une profondeur donnée. A trois mètres d’immersion, par exemple, le ressort devait fournir 309 grammes par centimètre carré de la surface du piston pour immobiliser celui-ci. Si la torpille restait à la bonne profondeur de réglage, le piston demeurait à sa place. Mais si l’engin plongeait ou émergeait, le déplacement du piston vers l’intérieur ou vers l’extérieur rétablissait l’équilibre. Dans ce cas, le gouvernail de profondeur, mu par l’air comprimé, ramenait la torpille dans le plan d’immersion choisi.
Les sous-marins allemands tirèrent 37 756 torpilles entre le 1er septembre 1939 et le 30 novembre 1944.

Avarie électrique
lebonJoseph24Ludwig Schmitt rapporte que dans le secteur d’activités d’Halifax les convois se forment et prennent à travers l’Atlantique la direction de l’Angleterre et de la Russie, en particulier Mourmansk où ils déchargent leur matériel de guerre.
« Il est peu avant 22 heures, (temps américain) nous étions posés au fond entre 90 et 110 mètres de profondeur, toutes machines arrêtées. La garde des machines et celle du poste central sont de veille, le poste radio est occupé, le radiotélégraphiste est à l’écoute. Toutes les autres personnes dorment pour économiser l’air. Seules quelques lampes éclairent les salles pour réduire l’énergie. Un ordre retentit : « Radio, faites un tour d’écoute ! » Vient la réponse : « Pas de contact !» Alors fuse l’ordre : « aux postes de manœuvre ». Les salles sont aussitôt éclairées, tout le monde s’active à la station. « Remontez pour naviguer au schnorchel ». Lentement le sous-marin quitte son aire de repos. Les deux moteurs électriques sont enclenchés pour une marche à petite vitesse. «Préparez-vous à la marche au schnorchel. » Le chargement des batteries peut commencer. Je pose alors une question à la centrale : « Capitaine, pourrait-on naviguer au schnorchel avec une seule hélice de queue en désaccouplant un des deux moteurs électriques, le bâbord en l’occurrence ? (Ndr, ce qui fait que les batteries électriques peuvent être plus rapidement chargées).
-Désaccouplez !» me parvient l’ordre. Je dirige le dispositif de dépareillage vers la gauche. Je fais un signe au second-maître (Maat) Bunzel chargé des moteurs diésels pour qu’il les positionne à 500 tours. Le diésel s’enclenche. Mais pour procéder au chargement des batteries, il me faut régler leur charge à 1 800 Ampères. J’ai toujours procédé de cette manière afin de pourvoir progressivement à leur charge en les maintenant sous une tension constante ce qui permet aux batteries d’être rapidement opérationnelles. L’inconvénient, c’est que lesdits accumulateurs chauffent et l’on devra tôt ou tard remplacer l’évaporation qui se volatilise hors de leurs cellules par un remplissage d’eau distillée. Il est maintenant minuit. Les matelots montants se préparent pour leur tour de garde. Je dis au chauffeur : « Surveille-moi tout ça, je vais au petit coin ». Il faut savoir utiliser les moments propices car, le jour, c’est souvent mission impossible ! Le danger d’être repéré est trop grand, je suis accroché à mes batteries comme le poulpe sur sa proie. Je monte les trois marches pour accéder à l’arrière, je veux passer par le panneau lorsqu’un éclair fulgurant jaillit de l’E-moteur bâbord. D’un bond, je désactive l’interrupteur.
Le moteur diésel, maintenant sans prise de charge, donne à plein régime. Le chef machiniste Weisbarth arrive affolé, le visage tout rouge chargé d’inquiétude. «Qu’est-ce qui vous prend, ma machine va rendre l’âme ! »
Je lui montre le moteur électrique bâbord qui bouillonne encore et je lui fais remarquer que l’odeur néfaste des fils d’isolation qui grésillent commence dangereusement à infester les lieux. Sur ces entrefaites, Weisbarth éteint le compresseur d’air (Lütfer) pour étouffer un retour possible de flammes puis il signale l’incident au L.I.
J’ai de mon côté rabattu les manettes d’arrivée et de départ du circuit d’air car je sais que l’oxygène aurait activé la combustion. On pouvait maintenant constater l’étendue des dégâts. Le L.I. remarque : « C’est une explosion due aux poussières des bâtonnets de charbon. » Effectivement durant notre longue navigation sous l’eau s’était formée de la poussière de charbon sur les cosses enserrant les bornes qui, en s’auto-enflammant sous l’effet d’une surcharge excessive provoqua le court-circuit. On pouvait distinctement apercevoir l’origine de l’incendie. Le départ de la flamme aurait pu tourner au drame ! Le mécanicien-chef tribord Steuerbord, l’OberMaschinist Früchting, arrive sur les lieux, il est responsable avec moi du dispositif électrique et me seconde.
J’établis mon rapport qui conclut qu’il faut sortir les cosses et leurs supports, nettoyer le moteur de toute trace de poussières de charbon et remettre de nouvelles cosses et leurs supports de liaison (Bürstenbrücken).
Nous étions bien pourvus en pièces de rechange. Après avoir consulté le plan de stockage, il nous fallait maintenant localiser les objets concernés et les sortir de leurs caisses pour pouvoir les utiliser, tout trier, puis les remplacer. Nous travaillâmes durant toute la nuit. Je ne partis manger qu’une fois. L’après-midi, à 2 heures et demi, la réparation était terminée. Au cours du repas pris sur le pouce, le Bootsmaat Kligge me demanda si j’étais arrivé à remettre en route le moteur électrique. «Tu te rends compte de la galère s’il nous faut traverser l’Atlantique avec un seul moteur ! Mais nous n’y arriverons jamais ! » J’ai pu le calmer en lui disant que lors de mes essais, le moteur fonctionnait. J’étais fatigué, éreinté par ma nuit de travail mais il tournait mon moteur ! Un gros souci nous fut épargné. L’autre moteur fut également nettoyé pour que pareil ennui ne se reproduisît plus. On m’interdit de charger à 1 800 Ampères, je descendis à 1 600. Les deux moteurs électriques ont pu nous ramener sains et saufs à la maison. Voilà un événement qui aurait pu avoir de tragiques conséquences et qui s’est finalement bien résolu ! » (Ndr : le fait est relaté sommairement dans le KTB, à la date du 18 octobre 1944).

Les vibrations assourdissantes résultant du schnorchel font parfois sauter le plomb des dents !
lebonJoseph25Joseph Lebon raconte : « Le panneau de la tour restait habituellement ouvert lorsque le sous-marin naviguait en surface. Lors des remontées à l’air libre, l’habitacle du kiosque était illuminé pour éviter d’aveugler des vigies montant dans la baignoire. Durant la navigation nocturne, le kiosque était plongé dans le noir ou dans le rouge pour ne pas interférer sur l’acuité visuelle des guetteurs.
Ma position d’aide-timonier (Steuermanngast) était rendue inconfortable par l’intrusion de courants d’air glacé qui s’engouffraient par le panneau ouvert. Je ne m’attarderai pas sur les paquets d’eau de mer qui m’arrosaient copieusement en raison d’une mer houleuse et parfois plus que démontée ! Au cours de mes vacations, j’avais perdu un plomb sur une de mes molaires inférieures lors des surpressions à répétitions du schnorchel. Huit jours après cette perte, étant pilote de gouvernail lors des marches en surface, négligeant de porter un bonnet de cuir pour me protéger de l’humidité, j’ai contracté une inflammation causée par les courants d’air circulant dans la tour. Avec mon maxillaire inférieur qui avait énormément enflé, j’éprouvais de lancinantes douleurs. Le Maître Engel, mon remplaçant désigné qui me suppléait en cas de défection durant mes autres obligations, pourvut à mes gardes étant donné ma rage de dents. Le médecin de bord, après avoir cherché à soigner mon inflammation dentaire, dût pratiquer l’extraction de la contrevenante dans le petit habitacle du commandant. Le docteur, après l’administration de deux piqûres anesthésiantes, le davier et la pince en mains, avait commencé à procéder à son extraction. Se trouvait à ses côtés l’opérateur-radio qui tenait une lampe ainsi qu’un gobelet rempli d’un produit de désinfection prévu pour le gargarisme. Un chauffeur-mécanicien de batteries était également de la partie : lui, par contre, agitait une boîte d’asperges vide, préparée pour accueillir les crachats. Face à ces trois personnages, se trouvait ma petite personne, assise sur le lit du commandant, des perles de sueur au front. Le déracinement eut lieu au milieu de l’Atlantique lors d’une plongée à - 40 mètres. Je peux affirmer que, même après guerre, par rapport à d’autres extractions que j’ai subies, aucun autre dentiste certainement mieux installé n’a pas réussi à retirer aussi proprement ma molaire que le brave docteur Ludwig ! »

Sur le qui-vive jour et nuit !
Un sous-marin doit pouvoir être gouverné au quart de tour. Cela suppose une synchronisation parfaitement huilée dans ses moindres détails, d’ailleurs précisés dans le Schiffsrolle, le vademecum du sous-marinier. C’est la vitesse d’exécution dans les manœuvres de plongée qui contribue à la survie du bâtiment. C’est ce facteur capital que chaque homme à son poste doit maîtriser sur le bout des doigts, l’oreille aux aguets pour répondre immédiatement aux ordres lancés par le capitaine ou son second. Ces gestes paraissent fastidieux tant les remontées en surface ou les immersions participent à la routine quotidienne, mais celui qui avait le malheur de les contrevenir mettait en péril tout l’équipage ! Mon travail, simpliste à prime abord, consiste à diriger les hydroplanes avant. Je ne suis ici que le modeste maillon d’une chaîne d’efficacité dont le L.I. est l’homme-clé.
Lui, devait être en mesure, même dans les mers agitées, de faire maintenir constamment à l’horizontal le sous-marin. La fermeture du clapet du schnorchel, plongé par intermittence sous les vagues agitées de la surface, provoquait la gymnastique du tympan dont la membrane tendue allait constamment d’avant en arrière. En effet, dès que l’entrée de l’air frais s’arrêtait, le moteur diésel aspirait goulument l’air continu à l’intérieur du bateau. S’ensuivait un abominable supplice qui vous taraudait la boîte crânienne ! Mutter Gottes, Mère de Dieu !
Les diésélistes, malgré les ordres tonitruants qu’ils se hurlent l’un vers l’autre au milieu du vacarme infernal connaissent leur affaire : ils entretiennent la danse effrénée des pistons, la purge fastidieuse des injecteurs, burettes en mains. Les infirmiers-du-cambouis en blouse reluisante de graisse sont aux petits soins des blocs- moteurs où un simple raté anormal de culbuteur les interpelle. Ayant l’œil alerte sur le cylindre en verre filtrant l’arrivée du Treiböl, les mécanos lorgnent en même temps sur les autres tuyauteries alimentant l’eau, ou l’air comprimé afin de pouvoir détecter au quart de tour toute fuite possible sur les réseaux.
Démarrer un diésel ne se déclenche pas avec une quelconque manivelle ou un bouton poussoir. C’est l’air comprimé stocké à très forte pression dans des bouteilles qui fait réagir les blocs-moteurs par la compression d’air admise à grande vitesse dans les cylindres qu’il a fallu pré-graisser au préalable (à travers un petit moteur électrique qui pompe l’huile hors des blocs-moteurs et lubrifie les rampes des culbuteurs situées en hauteur). Les moteurs rugissent alors dans un vacarme indescriptible, amplifié par les parois qui font caisse de résonnance. Le corps humain vibre malgré lui avec les trépidations des deux pur-sang, qu’on appellera ici des chevaux-vapeur !

Les hommes ne sont pas au parfum !
Il faut des poumons à toute épreuve pour encaisser les odeurs lourdes, écœurantes à vomir qui vous prennent à la gorge. Pour dégager ces vapeurs nocives qui vous saisissent la tête, il faut assurer une bonne ventilation.
Lüften ! Aérer ! Une fois le submersible monté en surface, si l’on veut disposer d’un COURANT d’air vivifiant, il faut ouvrir le panneau du kiosque. Cette ouverture provoque un surplus d’air frais qui ressemble au vent d’automne balayant les feuilles dans les cours d’école. Grippés, abstenez-vous de folâtrer dans les salles ! L’air vif fouette, brasse les remugles, les miasmes et autres exhalaisons fétides pour les expédier par-dessus bord via le panneau du kiosque où il ne fait pas bon passer à ce moment-là !
Une nuit, nous avons connu des sueurs froides à proximité des côtes canadiennes où notre bateau venait de remonter en surface pour être aéré. L’un de nos hommes avait par mégarde laissé entrevoir un faisceau de lumière de sa lampe-tempête. Des guetteurs circonspects balayèrent avec des projecteurs la surface pour se renseigner sur la présence insolite d’une telle lueur. Nous eûmes juste le temps de nous esquiver du pétrin, mais de manière un peu irréfléchie pour nous enliser à fleur d’eau dans une langue côtière, avec schnorchel et haut de la tour trop bien en évidence. Heureusement que la falaise qui nous surplombait cachait notre présence aux yeux interrogateurs des vigiles côtiers ou du gardien de phare ! Mais que d’émotions pour nous sortir de la mélasse ! Au milieu de la soupe gluante dégagée par les sables de la grève sans cesse brassés et qui semblaient nous retenir, les hélices durent turbiner longtemps pour nous extraire du guêpier visqueux.
Durchlüften = Ventiler de préférence avant la naissance du jour, -l’aube- que les Allemands associent sous la même dénomination au crépuscule (Dämmerung). De l’air ! L’air confiné, vicié et suffocant nous indispose.
Alors, quand le panneau du kiosque s’ouvre, la fraîcheur qu’on souhaiterait immédiatement efficace, ne rentre que parcimonieusement vers l’arrière. Durchlüften: AERER ! On ne peut pas imaginer l’odeur abominable que dégage un sous-marin, c’est littéralement du FAUVE qui nous provoque bien souvent des intolérances respiratoires ! On disait aussi que c’était du U-Bootmief (remugle), de l’air moisi (muffige Luft) ou pire, une odeur épouvantable de pourriture et de putréfaction (ein scheusslicher Geruch nach Fäulnis und Verwesung) !
56 hommes confinés durant 24 heures dans un tuyau, cela rappelle les vespasiennes de foules pressées.
Les hommes ne sont pas lavés, pas de douche à bord ! Mêlés aux senteurs corporelles, s’y joignent les gaz d’échappement des diésels, l’odeur âcre de la graisse, les aérosols rances, les émanations des huiles brassées qui mordent les narines et agressent les yeux, les relents froids des fritures provenant de la cambuse, les miasmes des W.C. ambulants (constitués ici de boîtes de conserve et convertis en réceptacles de vomissures) se rapprochant parfois de l’odeur carabinée des coquilles d’escargot putréfié. Certains jours de pluie, les senteurs fromagées des pieds, les relents charnels des feuillées aux brises d’anus, les défécations exhalant leur constipation laborieuse ou leurs selles explosives atteignent des exhalaisons-records. Et je ne parle pas de l’urine à l’odeur de cabillaud pestilentiel oublié dans la bourriche d’un pêcheur distrait, rappelant les remugles faisandés des arrière-cours de troquets ! Incroyable, comme tout cela pue le pet de poney, la charogne ! Le comble, c’est que dans ce fouillis d’odeurs, on se SENT soi-même mauvais ! Aussi pour évacuer ce volume nauséabond met-on en action de puissants compresseurs qui aspirent l’air vicié et soufflent en même temps de l’air frais. Et dire que tout ce monde disparate cohabite au milieu des patois les plus truculents et les caractères les plus trempés !
Entlüften= Expulser l’air hors des ballasts. Quand un U-Boot plonge, l’eau de mer se précipite dans les ballasts. Quand le sous-marin émerge, c’est l’air comprimé qui chasse l’eau des ballasts. Pour que les ballasts ne rouillent pas, on utilise les gaz brûlés gras des moteurs diésel pour en expulser l’eau. Par temps de bourrasques, il faut avoir les pieds et l’estomac marins. Lorsque l’esquif tangue sur les flots, votre marche parallèle dans les couloirs épouse les gestes houleux du roulis. D’abord, il faut éviter de se cogner aux robinets de purge des ballasts ou à toutes les aspérités de fer qui provoquent mainte bosse mal venue. Le mal de mer est toujours un moment délicat à surmonter avec les spasmes qui vous nouent les tripes et la torpeur qui rend souffreteux. Le blues vous tenaille : «quelle idée ai-je eue d’avoir opté pour ces damnés corbillards aquatiques ! » Mais il y a aussi le mal du pays (Heimatweh), une espèce de nostalgie qui vous fait compter les interminables secondes qui vous rapprochent de la famille au milieu des hoquets de tristesse que vous ravalez en silence derrière votre masque de courage ! Vous vivez continuellement dans le bruit, dans les ronronnements qui vous semblent perçus à longue distance alors qu’ils vous assourdissent au plus près les oreilles, constamment tétanisées par les volumes sonores d’un brouhaha qui bruit de nulle part. La voix de stentor du capitaine vous arrive trémolo, écrasée par les trépidations des diésels, les ahanements de la chasse d’air, les glouglous dus aux frottements qu’exercent les eaux fraîches canadiennes sur la coque, les cognements de travers d’un piston rebelle. Parfois, les bancs de poissons (on les appelle les camarades du dehors, die Aussenbordkameraden), les appels sonores des dauphins participent à ce concert cacophonique. Les vibrations continuelles du bâtiment en fonction des différences de température et des courants sous-marins qu’il rencontre, les succions et déglutitions de gros ballasts qui s’intercalent sous le pont, certes régulières à l’usage, vous mettent cependant les nerfs de travers.
Tendu comme une chaîne d’ancre, même lorsque vous êtes couché et écrasé par la fatigue et le dur labeur, il vous est impossible de trouver le sommeil ! Les bruits insolites résonnent nuit et jour, comme les coups répétés d’une faux macabre qui n’attend que son heure pour frapper ! Dormir : vous maudissez le copain qui vient de laisser tomber sa clé anglaise ou qui vous chantonne une mélopée à vous faire hurler de rage. Vous voudriez lui faire gagner la terre ferme : « Sieh dass du Land gewinnst ! » C’est que la promiscuité mal endurée hérissonne parfois le relationnel courtois. Dans ces bruits de fond, la chevauchée du squale d’acier sujet au tangage ou au roulis permanent, le remous des vagues de surface, pourtant situées à 10-12 mètres plus haut, obligent à corriger constamment l’assiette, sinon les hommes ne seraient justement pas dans leur assiette !
L’organisme est déphasé, la déprime guette l’enterré que l’air empuanti des catacombes accentue. Où aller traîner ses misères sinon dans la salle arrière, toujours la même qui claquemure vos idées vagabondes ! Pas de soleil, sinon l’éclairage diurne, pas de voûte céleste étoilée sinon la pénombre rougeâtre de l’éclairage nocturne qui accentue la nostalgie si enviée des promenades au clair de lune. Notre salle arrière est à comparer à une salle de garde où le quart descendant se repose, où les montants sont déjà à la manœuvre et où les suivants, en attendant leur tour de garde, s’occupent de menues besognes (Backschafter, Essenträger, Geschirrspüler, Kartoffelschäler, steward, porteur de repas, essuyeur de vaisselle, peleur de patates).
Les yeux fixés sur le cadran des hydroplanes, il me faut rester assis quatre heures sur un Affensitz (siège de singe), tel un aveugle, face à une cloison qui me gâche ma ligne d’horizon ! Imaginez cette sensation bizarre que vous ressentez en participant à la marche en avant sans savoir jamais où vous posez vos pieds.
J’ai hérité d’un nom d’emprunt : Sextant ! Comme chacun le sait, le sextant est un instrument de mesure optique qui est principalement utilisé pour mesurer l’altitude des étoiles par rapport à la ligne d’horizon en mer afin d’aider à calculer la position du navire. Ce surnom, on ne me l’a pas affublé par hasard. C’est qu’à côté du commandant et du timonier principal, je note sur une grande carte nos zigzags, détours et autres cheminements pris à chaque changement de cap que nous ordonne le pacha. Lorsque la situation le permet, je suis installé dans la salle des officiers à tracer le point précis où nous nous trouvons. En règle mathématique, la distance parcourue est égale à la vitesse multipliée par le temps mis pour la parcourir. A partir de cette définition, je pointe chaque changement de cap par un trait qui peut varier au hasard de la navigation et qui peut dans ce cas être tiré tout azimut sur la rose des vents m’indiquant les 32 points intermédiaires des points cardinaux. La précision ne serait jamais parfaite avec les dérives liées aux courants, aux forces venteuses sans le fidèle goniomètre qui rattrape les erreurs de positionnement grâce aux triangulations recueillies et réémises vers nos bateaux par les différents mâts d’antenne, précieux saint-bernard des mers, disséminés sur la façade atlantique.
Quel bonheur quand un heureux sort vous désigne comme vigie dans la baignoire aux mille libertés bruissant d’air vivifiant. On sort en effet de l’enclos, abruti par le stress. Délicieusement, l’air envahit les poumons….
Comment se dégourdir les jambes, déverrouiller son esprit, se changer les idées dans ce vase hermétique où chaque décision personnelle doit recevoir l’assentiment de l’un ou l’autre officier de garde. Uriner au petit coin relève aussi de ce rituel de service. Pour y aller, il faut demander la permission et attendre le feu vert ! Griller une cigarette à l’intérieur est hors de question, seuls le café ou le cacao font office de dopant énergique pour remettre votre organisme en concorde avec un repos bien mérité. Pour ne pas revenir moulus de notre veille passée par une nuit glaciale dans le nid-de-pie, nous sirotons au préalable un café baptisé Mittelwächter, un genre de garde d’appoint excitant notre vigilance ! Se coucher dans la bannette (tu la partages avec deux autres compères à tour de rôle), feuilleter un livre, s’attarder sur une photo de famille, rêvasser à sa jeunesse insouciante procèdent à un bien-être que l’on voudrait interminable. Tant pis pour les hommes dégoulinant de sueur à devoir s’affairer au graissage des torpilles et à leur laborieuse réinstallation dans le tube !
La pesée : équilibrer un bateau nécessite un savoir-faire d’orfèvre. Pour éviter toute inclinaison vers l’avant ou l’arrière, il faut déjà savoir le stabiliser avec les ballasts (ou/et les caissons d’assiette) en jouant sur la chasse d’air ou la charge d’eau de mer pour arriver à la bonne hauteur périscopique. Lorsque nous avions envoyé notre trio de torpilles, le sous-marin était remonté de 11 mètres. Et pour quel résultat si ce n’est d’avoir été cruellement désappointés par des nullités de Grundgänger (torpilles qui tombent en fin de course sur les fonds marins) qui nous ont bien déçus ! On comprend mieux pourquoi il faut tant d’heures de formation pour faire planer le bateau dans les ondes bleues et le rendre d’attaque. La consommation de carburant, le stock de nourriture sans cesse entamé, la torpille lâchée, eh bien, tous ces pertes de poids déséquilibrent le bateau et l’obligent à un constant retour au niveau à bulle, à l’enviée horizontalité qui vous imposent d’avoir le pied marin dans un vaisseau immergé au ventre lourd d’hommes, de matériels, rembourré de ses deux corsets d’acier que diverses manœuvres font émerger ou immerger tel un ludion savant.
Passer un quart de veille vous fait oublier la monotonie de l’existence, cette ritournelle fastidieuse constituée comme les grains du chapelet, de vigilances, de repos, de mille petits gestes quotidiens qui tournent à la manie. Heureusement que les repas pris en commun sur le bord de la bannette, à la bonne franquette, brisent le traintrain routinier. Dans nos espaces de vie, on repliait aux heures des repas les lits placés en hauteur de façon à pouvoir s’asseoir sur les couchettes du bas. Puis on dépliait la table de manière à ne pas trop perturber le travail du mécanicien-bourreur qui s’activait consciencieusement sur une torpille pour en contrôler la mise à feu avant de prendre son repas. L’appétit, réveillé aux heures de midi où le petit-déjeuner a depuis longtemps épuisé ses calories dans les tréfonds de votre être, provoque les gargouillis annonciateurs de la fringale.
lebonJoseph26Notre Smut s’occupe avec sérieux de son rôle de maître-queux dans sa forge de fricadelles. Sur l’Ostfront, si la tambouille mièvre ramenée des roulantes de l’arrière est l’apanage du fantassin crotté, ici, noblesse oblige, la Kriegsmarine est mieux achalandée avec ses lots de nourriture embarqués.
Lorsque les papilles gustatives mises en chatouille requinquent l’estomac, la tension entretenue descend de plusieurs crans.
Après les premières semaines où les pommes de terre et légumes classiques ont joué parfaitement leur rôle de garnitures alléchantes, c’est au tour des conserves à rallonges à prendre le relais. Avaler en double portion les haricots verts, à tire-larigot parce que les manutentionnaires des ports norvégiens nous ont bananés, vous fait faire une moue de travers parce que le pain est rationné ! Heureusement, le pudding, -un mot anglais pour une fois bien accepté- déride les lèvres gourmandes. Lors du Seemannssontag, un mets à chatouiller les gencives dominicales est concocté avec brio par Zetzsche, le rôtisseur inégalé dans sa façon d’accommoder les plats. Ah, oui, la reconnaissance de nos ventres ne saurait assez le complimenter pour sa dextérité à arroser les plats de sauces onctueuses à faire pâmer les gloutons les plus voraces ! Il n’a pas son pareil pour créer de divines surprises lors d’un anniversaire où, par l’entremise du Menage Offizier chargé de varier la composition des menus, il a sorti de derrière ses tôles un bavarois à la gelée aux framboises, barbé de crème fouettée (Schlagsahne) à faire baver d’extase les gourmets, interdits devant tant de faste déployé ! Ah, sans offenser le grand Lucullus, notre bosco Gehrard était d’un chou ! Ambiance aidant, une gorgée de cognac était distribuée à l’entour pour fêter dignement cette réjouissance et acclamer l’heureux souffleur qui venait de moucher ses vingt et quelques bougies !

Mise en condition opérationnelle
La peur. Honnêtement tout le monde sous-marinier reconnaît que la peur habitait la carcasse humaine. Nous étions la plupart des adolescents, de jeunes hommes, fougueux certes, qu’on envoyait au casse-pipes. Mais fiers d’appartenir à un corps délite, lequel d’entre nous n’aurait pas voulu faire partie de cette caste glorieuse ? Embrigadée dès l’avènement du Führer, (ce n’était pas mon cas), la Jeunesse fut laudatée par les Nazis, moulée dans le bain bienfaiteur de l’empreinte idéologique du régime où elle connut une ère nouvelle qui lui plut : vacances sous les tentes, chants partisans, défilés avec de vraies armes et un envié poignard de la Hitlerjugend ou la bêche du Reichsarbeitsdienst. Braves crâneurs angoissés, mais à la fougue étincelante, qui se cachaient mutuellement l’angoisse qui leur nouait le ventre ! La fortune des armements avait changé de camp, même si notre brave docteur, très utopiste et fanfaron, venait réchauffer les cœurs d’ardent patriotisme prussien. Le toubib illusionniste n’avait pas son pareil pour nous embellir l’avenir grâce aux armes-miracle, et ainsi chercher à nous travestir la vérité par ses déclarations pipées d’illusoires victoires. « Ohne Seemacht, keine Weltmacht ! »
« Sans notre arme sous-marine de riposte, disait-il, comment voudriez-vous empêcher l’ennemi de concentrer ses forces aériennes et maritimes sur le Reich ? Sans U-Boote, comment pourrions-nous accentuer notre menace sur les Anglais qui ne peuvent compter que sur des approvisionnements maritimes et comment vouloir les affamer, sinon qu’en contrecarrant l’arrivée de leurs convois ? Comment enfin nous garantir des couloirs de ravitaillement pour nos populations si nous désertions les mers ? Nos U-Boote doivent rester un enjeu stratégique !»
A n’en pas douter, le sprit,-cet esprit mobile tiré du pétrole raffiné- a fait gagner les Alliés. En 1918, Clémenceau l’avait prédit en constatant : « désormais pour les nations et les peuples, une goutte de pétrole a la valeur d’une goutte de sang ! » Sang noir visqueux issu du sous-terrain contre sang rouge humain coulant sur la Terre !
Nous le constaterons, il ne suffisait pas de développer une Blitz Armee, encore fallait-il assurer ses arrières avec l’indispensable Energie. La mise sur pied de l’armada teutonne nécessitait d’énormes volumes de carburant, sachant par exemple qu’un IX-C embarquait facilement plus de 200 m³ (il sacrifiait parfois un réservoir d’eau douce en le remplaçant par un volume identique de gasoil) mais il lui fallait aussi des huiles synthétiques, indispensables à ses moteurs et des graisses particulières adaptées contre la salinité. Et que dire des ogres gourmands, tels le Tirpitz ou le Scharnhorst à la soif inextinguible ! Si l’ennemi nageait dans le pétrole avec ses jerrycans -, la stratégie hitlérienne consistait à aller de l’avant pour le conquérir ! Folie furieuse d’un dévaliseur de ressources fossiles filant à la recherche d’illusions perdues d’avance. Conquistador insensé mobilisant ses sous-mariniers, leurs mains fichées dans le ténébreux cambouis de l’existence !
A défaut de Maïkop et de Bakou (dont le carburant aurait été d’ailleurs impossible à transporter mais dont la perte aurait lésé les Soviétiques), les raffineries roumaines de Ploesti devinrent un fournisseur privilégié mais qui furent battues en brèche par un bombardement dévastateur. Il restait la distillation du charbon faite à travers l’hydrogénation pour extraire les essences de synthèse, les gazoles et autres lubrifiants mais cette indépendance énergétique subira elle aussi les foudres célestes. Le stratège Speer utilisa toutes les parades pour éviter la pénurie des carburants, cette paralysie qui non seulement affectait gravement la production mais, au-delà, la mobilité des U-Boote, des armes blindées et aériennes frappées de la croix noire. On en revint même aux véhicules gazogènes avec du combustible facile à fabriquer. Sur la fin, on réinstaurera même l’implantation de brûleurs de chaudières dans les camions qui pouvaient alors être alimentés au gaz de charbon !
La vie à bord était perturbée par la pression latente des menaçants oiseaux-de-fer, renifleurs de surcroît avec leur radar sans cesse plus perfectionné. Cette eau immense, source de vie, pouvait devenir à chaque instant la fosse de la Mort. Que faire contre une armada de liberty-ships construits en pagaille, que tenter contre des escorteurs dont les équipages déchaînés s’amusaient à qui abattrait le plus de trophées ? Il fallait être sur le qui-vive permanent et disposer de manipulateurs-radio patentés capables d’entendre à 20 milles nautiques à la ronde le défoulement des hélices pour plonger et éviter la détection par l’asdic avec ses lancinants ping-ping sur la coque.
Le niveau très élevé de stress continu commençait même à perturber les marins les plus expérimentés !
A quoi bon armer un U-Boot partant en mission de guerre si l’on n’avait pas pu au préalable affiner l’entraînement des sous-mariniers ? Les équipages émérites avaient été coulés pour la plupart. Eternel impatient, le Führer avait misé sur une formation trimestrielle qui se révéla catastrophique, l’hécatombe de submersibles du fait d’accidents inhabituels le prouvait et l’on revint à un entraînement semestriel parfaitement maîtrisé. Rappelons que 30 U-Boote et 856 hommes furent déclarés perdus lors de ces manœuvres d’entraînement !
Tout était fait pour occulter les mauvaises nouvelles et faire en sorte que les sous-mariniers eussent peu de contact entre eux ! Nous étions des héros invincibles promus au ciel de gloire et non des dépouilles condamnées à jamais à l’obscurité du néant ! D’ailleurs Doenitz n’avait-il pas affirmé qu’il était aussi difficile à un corbeau de se payer une taupe qu’à un avion de détruire un U-Boot ! Braves sous-mariniers crédules, condamnés à croire à l’absurde chimère de l’invincibilité ! Dans les U-Bootschule, bien sûr que les moniteurs nous serinaient à longueur de séances le b.a.ba du métier en axant leurs propos sur les dangers cachés qui nous attendaient ! Les pertes inéluctables étaient à prendre en compte mais, un matelot prévenu en valant deux, tout était entrepris pour inculquer aux jeunes intrépides résolus les petits secrets pour durer dans le temps ! En dehors des quelque 28 000 sous-mariniers disparus (sur environ 40 000), engloutis par destruction complète de leur submersible au fond des mers, 16 cas de suicide (le slogan « on ne se suicide pas dans les U-Boote» dissimulait aux marins les cas d’autodestruction humaine) ont été recensés parmi 1 824 autres cas dramatiques qui concernent des accidents ou des péripéties ayant entraîné les décès de l’un et de l’autre membre d’équipage.
Emil Motyl est le seul marin déserteur à avoir sauté par-dessus bord (sa désertion est évoquée ailleurs). A posteriori, cet être ultrasensible, hyperfatigué par les bruits à bord qui l’ont littéralement assommé, a dû péter les plombs, dirions-nous aujourd’hui, face au châtiment qu’il jugeait infâmant à ses yeux. La sanction, d’après sa perception, lui paraissait hors de proportion par rapport à l’acte véniel qu’il avait commis de par ses endormissements. On le boycotta, les cadets de marine allemands emploient le mot ‘Verschiss’. Motyl perdit l’estime générale, on le considérait moins que de la m… Pour le malheureux, cet opprobre constituait le coup de grâce fatal à son moral. N’oublions pas qu’à côté de cette quasi exécration générale, cette sanction était assortie d’autres chicaneries : privation de jeux et de desserts, repas froid à prendre dans une boîte de conserves, couchage sur le dur, mutisme des camarades, nettoyage de la quille en rampant sous le plancher nauséabond, vexations de son sous-officier chargé de lui faire effectuer le sale boulot (Saudreck).
Par rancune puisqu’on rabattait sa fierté, Motyl surnommé ‘der schönste Man’, le plus bel homme, voulut braver le sort en jouant son destin, en croyant être proche des salutaires côtes canadiennes. Rude école de la vie où il fallait se plier à la discipline, cette cohésion imposée à la troupe en guerre ! Les plus faibles lâchaient prise !
Même si le BdU était peu disert sur les pertes d’U-Boote qui ne répondaient plus aux messages, nous savions par le biais des communications-radio entendues à bord, que lesdits bâtiments manquant à l’appel avaient disparu corps et biens. Par ailleurs, de par notre faible espérance de survie , comme on circulait en train, on rencontrait des connaissances sur les quais, -parfois six sous-marins étaient amarrés l’un à l’autre-, on n’ignorait pas que les accidents les plus sérieux se produisaient en haute mer, par gros vent et par mer déchaînée. Combien de jambes et de bras cassés ont ainsi été provoqués par des bourrasques et des paquets de mer à l’impact foudroyant pour vous broyer un membre ? Bloqués sur le fond marin, les sous-mariniers étaient les seuls êtres au monde à connaître la sensation particulière du silence à bord rompu par le son de l’asdic fureteur qui devenait rapidement insupportable pour les nerfs. Ce silence, entrecoupé d’impacts sonores semblant extraits d’une 10ème symphonie inachevée, accentuait les émotions, le pouls s’emballait, le cœur était saisi de palpitations dont l’oreille se faisait l’écho. La tension s’intensifiait au point que les plus vulnérables acquéraient la certitude qu’une seule grenade viendrait irrémédiablement pulvériser leur bâtiment en cercueil fantôme désintégré. C’était là, en ces moments fatidiques, que les plus forts de caractère gardaient leur calme quand certains perdaient leur tête, sinon la maîtrise de leurs sphincters ! On nous avait mis en garde, en nous demandant de nous arrimer à la chaîne de survie en cas de tempête, de nous blottir derrière le parapet du kiosque pour ne pas encaisser la charge de tonnes d’eau qui agissaient comme des coups de bélier ravageurs sur notre misérable enveloppe. Combien de pointeurs de canon ou de tireurs de mitrailleuse lourde, croyant se glisser avec vélocité, sur le pont piégeur comme une savonnette, et passer entre les lames de travers, furent-ils balayés par-dessus bord ? D’autres, surpris par l’arrivée ultra véloce d’un chasseur ou d’une corvette et n’ayant plus eu le temps matériel de rejoindre la tour, furent sacrifiés ou oubliés lors du plongeon rapide de leur U-Boot dans des eaux salutaires ? Combien de fois ai-je invoqué intérieurement la grâce divine lorsque nous devions nous frayer un chemin hasardeux dans les champs de mines ou lorsqu’il nous fallait scrupuleusement nous coller aux basques d’un dragueur de mines pour rentrer au Stützpunkt ? Que de mises en garde lors des accostages ou pendant le lancer des amarres par vent de travers devant le quai, devant des marées montantes face au traître jusant qui vous basculait dans l’eau au moment où le submersible venait se frotter aux pierres de l’embarcadère ! Je redoutais les collisions, surtout nocturnes en raison de l’obscurité et notamment les exercices de sauvetage (j’ai vu en direct la collision de l’U-1014 avec l’U-1015 qui sombra peu après) où vous assistez, la mort dans l’âme, à la disparition instantanée d’une quarantaine de personnes. C’est effrayant ! Cela vous poursuivait jour et nuit. Lors d’un exercice de plongée, l’U-346 de l’Oberleutnant zur See Leisten sombra dans la baie de Dantzig devant la presqu’île de Héla. Mon camarade Otto Krüger eut le réflexe de prendre l’ultime photo du sous-marin en détresse qui coûta 37 morts ! Les essais en Mer Baltique occasionnèrent encore d’autres stupides accidents de travail : amputation de doigts à cause de la main prise dans un câble de remorquage, ou lors de réparation sur les ballasts, qu’un tronc d’arbre qui dérivait avait troués et que l’on réparait dans l’urgence, à croupetons sur le pont pour calfater la déchirure (alors qu’elle aurait mérité l’intervention d’un plongeur plus rompu à ce genre d’intervention périlleuse). Nous connaissions également les risques d’éclatement du fût du canon, surtout si l’on oubliait de l’obturer par un capuchon hermétique durant les plongées. Combien de mitrailleuses lourdes explosèrent-elles en raison de balles défectueuses blessant grièvement ou tuant les serveurs ? Combien de torpilles foireuses maniées à l’emporte-pièce éclatèrent-elles ou bien revinrent-elles vers leur expéditeur ? Le schnorchel, redoutable renifleur, pouvait également vous distiller son monoxyde de carbone. Ainsi l’équipage de l’U-534 connut la panique à bord par suite de gaz brûlés mal refoulés par le schnorchel. Il fit surface pour tomber sur un avion Wellington qu’il put néanmoins abattre ! Rolf Mützelburg qui avait autorisé ses hommes à batifoler autour du U-203 au sud-ouest des Açores voulut être de la partie : il sauta de la tour pour venir fracasser sa tête sur le rebord du pont au moment où le sous-marin fit tout à coup une embardée dans la houle. Les accidents les plus meurtriers résultaient des attaques aériennes pour lesquelles mainte vigie et mitrailleur furent terrassés à leur poste. Ce fut le cas du U-1222, notre jumeau. A l’ouest de La Rochelle, dans le golfe Biskaya, le sous-marin sous le commandement du Klt. Bielfeld, revenait de Terre-Neuve en navigation mode schnorchel. Il fut surpris par un avion de la Bay Air Patrol du RAF-Squadron 201. La totalité de l’équipage (56 morts) sombra. Comme nous, mais précédemment, en mai 1944, il avait tenté de couler des navires au sud de Nova Scotia.
Il fait partie des quelque 300 Front-Unterseeboote qui ne remportèrent aucune victoire, mais comble de malchance, lui, fut détruit par l’adversaire comme tant d’autres bâtiments, desservis par le mauvais sort !
En route vers la Norvège : Les luminescences des aurores boréales alternaient avec l’encre noire épaisse des nuits sans lune (dicke Tinte), ce qui n’empêchait pas d’être constamment sur le qui-vive, surtout lors du retour vers nos pénates bienvenus ! Cherchant à nous garantir la sécurité absolue, avant notre retour en Norvège, l’ingénieur en chef était d’avis, même par cette diablesse de mer agitée, de naviguer malgré tout avec le schnorchel, ce qui indisposait au plus haut point l’équipage car la continuelle aspiration d’air exerçait une gymnastique détestable sur les tympans et sur les globes oculaires irrités par les larmes provoquées par ces dépressions infernales à répétition ! Nous avons ainsi dû schnorcheler horriblement à travers le Passage de l’Islande appelé Rosengarten , là où les chasseurs attendaient leurs proies. C’est seulement lorsque le détroit fut passé que nous émergeâmes de nuit, mais cette fois dans une mer calme, et constatâmes une x-ième fois que l’air frais pue ! Les vieux briscards vous disent qu’après leur retour mouvementé de précédentes croisières qu’un sous-marin a besoin d’une escorte. « Où voulez-vous plonger en cas d’immersion urgente lorsque vous êtes près des côtes, sur des hauts-fonds visibles des airs ? » Nous n’avons jamais autant prié qu’à l’approche des rivages.
La fièvre pour rentrer tourneboule l’équipage, chacun étant déjà à phosphorer sur le retour au bercail, avec l’appréhension, en ces temps continuels de bombardement, de retrouver sa chère Heimat à feu et à sang.
Mais encore faut-il pouvoir accoster sain et sauf le long d’un jetée, havre provisoire de paix !
Entassés comme des harengs en caque, la nervosité gagne les hommes, ceux surtout que la promiscuité et le syndrome de la claustrophobie ont singulièrement traumatisés. Le manque d’appétit, le confinement leur ont donné une teinte olivâtre, elle-même accentuée par ces fines pellicules indéfinies de suie, de gaz délétères dont l’odeur extrême du gasoil s’est fichée dans la peau (fripée chez certains par l’humidité), surtout sur celle des mécaniciens. Les récits des rares rescapés, ivres de joie à quelques encablures de leur port d’attache, font toujours craindre le pire au moment où l’euphorie fait transgresser les règles les plus élémentaires de sécurité.
« L’ennemi guette sa proie de mille manières », vous diront les rares vieux de la vieille qui ont réussi à sortir miraculeusement de la nasse au retour de leur croisière infernale. Le patient Ackermann, capitaine au long cours, expérimenté par ses périples dans l’Océan Indien, sait lui aussi durer dans le temps !
Je me rappelais à bon escient de La mouche du coche de Jean de La Fontaine, cette mouche à l’allant guerrier qui faisait cavaler dare-dare les canassons, une usurpatrice peu méritante en fait qui sonnait son éphémère triomphe car déjà engluée dans son linceul de toile d’araignée ! Eh bien, en ces heures graves, nous avions à bord des impatients invétérés qui auraient plongé dans la gueule du loup sans réfléchir pour le seul plaisir de brûler inconsidérément les étapes! Notre lieutenant de vaisseau de 1ère classe est sur ses gardes, vigilant à l’extrême, essayant de subodorer les pièges adverses, ne négligeant aucune faille dans son système de garde. Après avoir réussi à ramener pratiquement à bon port le submersible, il lui semble suicidaire de faire route en pleine mer, à découvert. Et pourtant, la bise fraîche qui s’exhale au loin des fjords norvégiens, en ce temps béni de l’Avent qui s’avance nous met en ébullition. Les gars piaffent d’impatience de retrouver leurs manies terrestres.

Retour dramatique de notre croisière opérationnelle :
Après être passés sans que l’ennemi ne décèle notre présence dans le fameux « Passage » entre l’Islande et les îles Féroé, il faut le dire avec beaucoup de chance, nous étions en train de naviguer en direction de Bergen dans l’intention de descendre ensuite vers les flots du Skagerrak. Le moral était bon, nous pensions avoir surmonté le plus dur. Déjà plus d’un trimestre de navigation ! Les côtes norvégiennes encore à atteindre fleuraient bon les odeurs de chez nous ! On savait que le Costal Command anglais était à l’affût. En plus, après nous être extirpés d’un champ de mines, notre navigateur, par manque de fiabilité dans ses appareils d’orientation, avait dû se satisfaire de l’estime, en comptant énormément sur le facteur chance.
Un échange chiffré en morse devait nous emmener vers un point précis où nous avions rendez-vous avec les bâtiments d’escorte. Comment plonger si près des rives ? D’où la vulnérabilité de notre submersible, surtout, s’il ne dispose pas de protection aérienne ou d’escorte marine ! Cette proximité du rivage au voisinage de la terre ferme (Festlandsockel), après nos 14 semaines vécues en vase clos, engendrait un sentiment bienfaisant d’excès de confiance. Les hommes voudraient à tour de rôle filer sur le pont, humer l’air vivifiant, fumer.
« Nein, Vorsicht ist, wie sie es wissen, die Mutter der Porzelankiste ! Non, vous le savez bien que la prudence est mère de sûreté ! Car la zone dangereuse truffée de mines n’était toujours pas franchie. Un briseur de blocus (Sperrbrecher) serait évidemment le bienvenu car il dispose d’équipements de lutte anti-mines.
Dans le jargon, c’est un bâtiment de surface spécialisé dans le dragage magnétique avec sa coque renforcée qui, comme certains avions JU 52 équipés à l’identique, peuvent déclencher les mines immergées soumises artificiellement à l’influence magnétique en provoquant à distance leur mise à feu. Et puis avant d’arriver au môle d’accueil libérateur, comment ne pas subir, en dernière minute, l’explosion sournoise d’une mine à orins mouillée nuitamment par un avion baladeur ! Et dans ce cas, pour ne pas tomber dans la routine casanière du laisser-aller, il nous faudra compter sur le sérieux des bâtiments de servitude chargés de draguer les chenaux d’accès pour ouvrir et sécuriser la route des précieux U-Boote. « Méfions-nous des excès d’optimisme béat » nous alertait constamment notre 6ème sens ! Ainsi, le 21 novembre, à 10 heures du matin, une collision soudaine se produisit à 75 mètres de profondeur avec le fond marin. Comme secoué par un énorme roulis, le bateau oscilla aussitôt de droite à gauche sur le sol vaseux et mou. Remontés à hauteur périscopique, avec quelques-uns d’entre nous couverts d’ecchymoses et aux lèvres éclatées, nous découvrîmes que nous nous trouvions déjà devant les côtes de Norvège ! Après avoir correctement pris le relevé de notre position, nous constatâmes, malheur ! que nous voguions à nouveau au milieu d’un champ de mines ! Force fut de constater que nous avions dérivé de 30 milles nautiques vers l’est en raison de trop forts courants qui avaient embrouillé les calculs de position. Par ailleurs, sans vraiment nous en rendre compte, ces damnés courants avaient depuis une semaine hâté notre rapide approche des fjords. Relevés du choc, nous pûmes par immersion périscopique, nous éloigner lentement de la côte, les cloisons étanches ayant bien tenu le coup lors de la collision.
« Wer langsam reittet kommt auch an’s Ziel ! Qui veut voyager loin, ménage sa monture ! » Le chef en a fait sa maxime et ses prudences nous exaspèrent à force de traînasser à allure de veau marin dans les flots. Les critiques s’apaisent vite, car nous perdrions gros à braver le danger latent en voguant moustaches au vent. Seuls le sang-froid et l’habileté du commandant nous permettront de rentrer indemnes et vivants. A la seule perspective de racler à nouveau un haut-fond alors que nous venons à peine de nous dépêtrer miraculeusement d’un télescopage de fond marin certes argileux, ce qui nous a évité une perforation de la coque, cette navigation aveugle, sans signalétique de présence insidieuse de récifs, nous met continuellement les sens en capilotade. Cet incident va être rapporté à l’Amirauté pour lui faire rectifier sur les cartes marines les profondeurs incriminées dans le but d’éviter tout carambolage néfaste à l’avenir à nos autres submersibles.
Le 23 novembre, en nous retrouvant à 48 heures de l’arrivée de l’escorte, nous ne pouvions guère émettre de messages-radio à cause des constantes recherches de localisation effectuées par l’ennemi qui cherchait à nous surprendre. C’est que nuit et jour, les navires allemands se trouvaient désormais attaqués par les avions britanniques. Enfin un message nous parvint pour nous préciser que l’escorte se trouverait le 26 novembre à 17 heures au point Krista. Mais même arrivés devant le rivage côtier, nous n’étions pas tranquilles car les mines sournoises étaient toujours si prêtes à pratiquer leur office funèbre aux entrées des bases, c’était comme approcher un lance-flammes de nos torpilles armées. Bonjour les dégâts ! Emergeant au rendez-vous au jour dit à 17 heures 10, nous avons filé en zigzag vers la côte. Toujours point de navires de soutien ! Au contraire, en ce fameux soir de rencontre, un feu d’artifice magique nous y attendait: des avions anglais attaquaient les escorteurs avec des torpilles. A 17 heures 55, localisation de nombreux avions et alerte pour plonger ! A 28 mètres de profondeur, à nouveau une collision sous-marine avec un sol plutôt souple. Pas d’intrusion d’eau, Dieu soit loué ! Puis nouvelle remontée en surface pour enfin nous joindre à nos sauveurs. Dès la rencontre avec l’escorte, la présence rassurante des Minensuchboote nous distilla aussitôt de la sérénité : il fallait les voir à l’œuvre avec leurs câbles de drague qui cisaillaient les engins immergés avant de les aligner, ces boules métalliques puant la mort, au canon ou à la M.G. Notre sous-marin suivait la route marine jalonnée de bouées explicites pour ne pas rencontrer ces diablesses hérissées d’antennes, souvent cachotières qui laissaient peu d’espoir avec leur pouvoir d’éventration ! A 22 heures, nous nous amarrions à côté de notre escorteur M.1. A minuit, enfin, nous rejoignîmes nos couchettes. Nous étions à nouveau sur la terre ferme après avoir vécu 98 jours, 7 heures et 53 minutes en mer dont les 5 dernières heures passées avec une concentration extrême et dans une constante et éprouvante nervosité.
Le 27 novembre, réveil à 9 heures et plus tard salutations du FdV West, Führer der Vorpostenbooten West, le Commandant de patrouilleurs d’avant-poste Hans-Rudolf Rösing.
Le second maître Ludwig Schmitt précise : « nous eûmes encore la force de lui chanter une aubade sous la baguette du L.I. Werth. » Dans la nuit, à minuit, largage des amarres et départ vers Christiansand Süd.
D. Greve relate : « Après notre arrivée à Farsund, une bouteille de bière nous attendait. Cela suffit à tout le moins, à notre bonheur et à créer une chaude ambiance, après nos cent jours d’abstinence. Lors de notre séjour à Chrisitansand, l’U-155 commandé par Lutz von Friedeburg y accosta également après avoir été le dernier submersible allemand à avoir pu quitter une base sous-marine sur la côte atlantique française.
Disposant certes d’un schnorchel mais qu’il ne put pas rabattre car il avait été soudé d’une seule pièce, le bateau surpeuplé parvint sain et sauf à Chrisitansand. A l’équipage s’étaient joints des ingénieurs, des fonctionnaires d’administration, des auxiliaires féminines de la Marine qui purent ainsi quitter la forteresse bordelaise assiégée.
Un autre sous-marin, dont je ne me rappelle plus le nom du commandant avait pu s’esquiver d’une alerte aux bombes après avoir plongé à -300 mètres et pu remonter en surface (aux dires de l’intéressé). Les ballasts d’air étaient complètement écrasés à de nombreux endroits. D’ailleurs le bateau n’était plus apte à plonger. »

Reproches injustifiés : On nous a fait de singuliers reproches à notre retour du Canada. A notre arrivée au port d’attache de Farsund, je rappelle tout de même que nous avions passé à ce moment-là 102 jours en mer, le vice-amiral Godt, après nos résultats stériles nous a reproché de ne pas avoir attaqué plus agressivement, au contraire du U-1223 ! « Votre croisière a été décevante ! » Quelle douche froide pour nous qui avions encore du mal à retrouver l’équilibre terrestre ! En haut-lieu on a simplement oublié de mettre en avant nos graves déboires causés par de nombreuses défections mécaniques. C’était comme demander à un aveugle de voir et de savoir se guider seul sur un traître chemin ! Malgré des avaries continuelles rencontrées, nous n’avons pas plus failli à notre mission que d’autres équipages. Au vu des communications-radio perdues, tronquées, bredouillées, en raison de nombreux appareils défectueux ou d’échosondeurs en panne, pour autant nous n’avons nullement abrégé notre périple ! Je tenais par exemple à vous dire que toutes nos descriptions de patrouille, nos sollicitations d’ordres de bataille ou notre dernière requête pour disposer d’une escorte n’ont jamais pu toutes parvenir au BdU. A travers nos communications de longue distance et l’étroit contrôle tactique qui nous reliaient au quartier-général de l’amirauté par le biais des messages-radios captés et émis par de puissants transmetteurs installés sur la bordure atlantique européenne, nous avons joué de malchance avec nos propres appareils de transmission et de réception. Le 30 août, les autorités maritimes canadiennes savaient que nous voguions vers les contrées sud-est de Terre-Neuve grâce à des messages décryptés.
Le 16 septembre 1944, elles avaient appris que nous avions transmis des bulletins-météo, notre système Enigma n’était donc pas aussi infaillible qu’on le supposait ! Alertés, les Canadiens serrèrent leur garde. Nous avons eu également affaire à des Sonarboje. Pour vérifier leur présence, nous étions obligés de nous mettre en mode de navigation très lente, car nos hydrophonistes avaient du mal à les différencier avec un vrai navire. En effet, les bouées acoustiques, appelées Sonoboje étaient des bouées équipées d’un hydrophone (=microphone sous-marin) pour détecter les U-Boote. Principalement utilisées par des avions de patrouille maritime pour la détection des U-Boote, elles étaient larguées de l’aéronef. De par leur impact dans l’eau, les microphones retenus par un fil de la bouée étaient libérés et tombaient à une profondeur prédéterminée. Un bout de ce fil soutenu par une bande de caoutchouc répercutait les bruits émis dans l’eau. Toute détection sonore reçue à partir de la bouée était transmise par ondes radio ultra-courtes vers l’avion. Les Sonoboje étaient équipées d’un opercule bloqué par une pastille de sel comprimé, qui, en se dissolvant au bout d’un temps déterminé de quelques heures coulait. C’est facile de critiquer derrière un bureau ! Nous avions face à nous une armada de recherches, des chasseurs-tueurs spécialisés dans la traque des U-Boote. Le BdU nous avait ordonné de patrouiller au large de Halifax, nous avons sillonné la contrée halieutique pour déterminer à quel endroit pouvaient s’envisager au mieux nos attaques sur la route de départ des convois vers l’Europe et l’URSS. Avons-nous été perturbés par l’acte de suicide-désertion d’Emil Motyl, un fauteur de trouble mécontent de sa punition dont Ackermann notre commandant n’a jamais souhaité trop s’étendre sur le cas.
Je n’ai jamais eu à me plaindre de l’autorité du capitaine, il souhaitait d’ailleurs la parfaite osmose dans l’encadrement. On pouvait lui parler à toute heure. « C’est en travaillant main dans la main, entre officiers et porte-épées que vous pourrez créer un climat relationnel parfait avec vos hommes qui seront alors chevillés corps et âme à notre bateau ! Ils s’incarneront à lui !» Le capitaine était d’un abord agréable : combien de fois a-t-il cherché à aiguiser ma curiosité en me permettant de jeter un coup d’œil dans le périscope, de compulser le catalogue Gröner détaillant toutes les silhouettes des navires, d’utiliser les jumelles UZO du pont ?
« Votre patrouille a été un échec » nous a tancés le vice-amiral Godt. Pourtant nous avions repéré de nombreux bateaux de guerre, un transporteur de troupes, des cargos, mais que nous n’avons jamais pu attaquer dans des positions favorables, la plupart voguant loin de notre site d’attente. Je ne puis reprocher une quelconque lâcheté de mon commandant. Beaucoup de camarades étaient déçus de n’avoir pas pu ramener un trophée de cette campagne. D’autres équipages avaient connu eux aussi pareille infortune.

Que dire de notre torpillage malchanceux ?
Concours désastreux de circonstances qui firent que la gerbe de torpilles passât à côté du sujet, que la vitesse du navire ennemi dût être inconstante (d’où la formule biaisée dès le départ puisque la distance à parcourir des torpilles ne correspondait plus à leur vitesse multipliée par le temps). Ce transporteur de troupes avait-il eu loisir de changer de route (Haken schlagen) en apercevant les sillages tortueux de bulles (Blasenspuren) émises par les torpilles ? Erreur humaine, j’en doute fort puisqu’un conjugateur simplifiait le travail du capitaine en ciblant avec les données recueillies le meilleur angle d’attaque (ici 93°). Un chasseur ne procède pas autrement ! Il lui faut anticiper et tirer au devant de la hure du sanglier pour l’atteindre au poitrail ! Par précaution, Ackermann avait réglé ses 3 torpilles à des vitesses différentes parce qu’il n’était pas sûr de l’estimation de la vitesse du navire ennemi. Les données nautiques relevées au périscope et transférées automatiquement au conjugateur, Ackermann les a converties en trajectoire de collision imparable. Alors pour moi, les ratés ont été provoqués par la défection de la mise à feu magnétique des torpilles, ou encore par leur humidité interne, ou pourquoi pas ? par le dysfonctionnement de leur régulateur d’immersion qui les a fait passer trop bas sous la quille ennemie en annihilant ainsi leur mise à feu. Faut-il rappeler que les torpedomixers les sortaient régulièrement de leur tube, histoire de les réarmer, de vérifier leur étanchéité, de les régler au millimètre pour éviter toute désorientation. Notre triplé (3-Fächer) a-t-il failli dans sa course, par mer un peu forte qui ait ainsi pu fausser ses trois frappes ? La vitesse irrégulière de l’une ou l’autre anguille a-t-elle compromis leur frapper au but ? N’avaient-elles pas été sabotées ? Nous savions aussi que certaines torpilles n’étaient pas fiables même si les spécialistes de l’armement prétendaient qu’il ne s’agissait en réalité que du manque d’expérience des commandants et qu’ils ne voulaient rien entendre ! Ayant constaté leur système électrique interne noyé, nous les avons appelées des Fataale, des torpilles défaillantes, (NdR, jeu de mot portant sur Aale qui est une anguille). Le capitaine n’eut pas le temps d’observer les résultats de ses tirs puisqu’il fallait impérativement descendre pour ne pas se faire exploser par une torpille capricieuse sortant de son aire d’attaque. Là aussi, après leur lâchage déstabilisateur qui fit dégringoler notre submersible dans un à-pic vertigineux, la main experte du Leitende Ingenieur et le courage exemplaire du Kommandant réussirent à maîtriser le plongeon mortel en chassant, en chassant l’eau des ballasts in extremis ! Je ne pense pas que notre pacha ait mal coordonné l’allure des torpilles avec la vitesse du paquebot ennemi même s’il reconnaît une précipitation dans son action. Sur notre Kanadafront, la destination opérationnelle n’était pas de tout repos avec les patrouilleurs côtiers en vadrouille, toujours sur leurs gardes (dont l’un nous a d’ailleurs frôlés à 80 mètres de distance et un autre a failli nous éventrer à 20 mètres !). Même en nous posant au fond, nous ne pouvions jamais complètement nous remettre de nos émotions. Les phases de sérénité affichées étaient bien souvent du faux-semblant face à la quiétude qu’aurait dû nous ramener le calme réparateur du sol marin ! Nous avions croisé assez loin à l’horizon d’abord une frégate à 6 milles, un tanker à 12 km, puis du menu fretin comme un gros voilier, un schooner, des petits bateaux. Un croiseur fut repéré tardivement et le temps de nous retourner, de plonger, le trophée s’était éloigné. Nous n’avons jamais vraiment pu positionner notre bâtiment comme il se devait devant un vaisseau ennemi repéré. On n’imagine pas les savants mécanismes qui se trouvaient à bord et dont il fallait maîtriser chaque rouage ! Ackermann a relativisé nos dangers encourus !
Nos appareils de calcul de navigation nous ont fait avancer à l’aveuglette aux abords des côtes norvégiennes. Que dire de l’absence de fiabilité de nos émetteurs bancals sur notre cachalot-de-fer aux réactions imprévisibles qui ont failli nous faire disparaître à jamais dans les abysses ? Sachant que l’immersion était pour nous le moyen primordial de sécurité, comment pouvions-nous faire confiance à notre Echolot de profondeur qui explosa d’ailleurs en abîmant sérieusement un tube lance-torpilles ? La plongée qui devait être la caractéristique essentielle de notre sauvegarde était devenue au contraire un cauchemar ! Oui, nous étions dans ce qu’on appelait chez nous la coursive de la mort, cet enfer liquide dans lequel un destin funeste pouvait à chaque seconde nous donner le coup de grâce ! Chasseurs, nous rêvions de proies qui pouvaient par un singulier coup du sort nous transformer en parures de vaincus ! Ja, wir standen fast immer am Rande eines Grabloches ! Oui, nous étions presque toujours au bord de la tombe ! Par contre, nous avions pu matérialiser les routes suivies par les convois ennemis sur les carreaux de la carte Nordatlantik avec les endroits précis de leur localisation, ce qui, à nos yeux, allait permettre à d’autres U-Boote de terrasser de futures proies bien plus facilement.
Par ailleurs, le capitaine (ici dans sa tenue de parade) comptait prouver, en partant pour une seconde croisière à l’ennemi, qu’il prenait son rôle très au sérieux et n’acceptait pas les reproches injustifiés de sa hiérarchie.
Le nouveau sacrifice qu’il demandait à l’époque à son équipage intercède en sa faveur ! Oui, quoi qu’il arrivât, nous étions liés par la chair et le sang à notre 1221. Nous allions ensemble risquer une nouvelle aventure au vent incommode du grand large, pour affronter, sans indulgence, le spectre de la Mort et sans doute devoir, face à la supériorité ennemie, nous abandonner pour l’éternité à l’Infini liquide. En prévision du départ fixé au 8 avril 1945, nous avions à nouveau écrit nos dernières volontés (letzte Wille) qui furent glissées dans le sac marin, lequel fut laissé à la base marine (Dienstelle Feldpostnummer M 55188). Face aux dangers omniprésents, je ne donnais plus cher de ma peau pour cette croisière sans retour. Mourrais-je mitraillé, le corps lacéré ? Ensaché ensuite dans un drap mortuaire , serais-je basculé par-dessus bord du haut de la civière funèbre ?
Mon Dieu, de quoi demain serait-il fait ? Ma mère allait-elle me décacheter ma lettre posthume ?
Mais le destin brutal du 3 avril 1945 bousculera l’action de cette nouvelle entreprise……

 lebonJoseph27