La nourriture à bord :

« Pour gagner une guerre, il faut soigner le ventre du soldat. » Citation du Alte Fritz
Frédéric II de Prusse, dit Frédéric le Grand est aussi surnommé affectueusement der alte Fritz (le vieux Fritz). Son amitié avec Voltaire se brisa quand Frédéric le Conquérant envahit la Silésie. Il mena d’innombrables batailles, lui-même en tête de sa grande armée (160 000 hommes), pour affaiblir sa rivale héréditaire: l’Autriche des Habsbourg. A la fin de la guerre de Sept Ans qui enflamma l’Europe, la Prusse avait vaincu l’Autriche, annexé la Silésie, semé la mort, la famine, la désolation et perdu 10 % de sa population. Frédéric II était considéré comme un stratège remarquable et un guerrier chanceux. A son accession au trône, la Prusse était faible, morcelée et elle avait très peu de poids sur l’échiquier européen. A la mort de Frédéric le Grand, Berlin, foyer des Hohenzollern, était la devenue capitale d’un vaste royaume unifié.

 

Avant de nous voir fendre les flots, le sous-marin a embarqué ses torpilles, ses munitions de tourelles de tir. Il lui faut aussi se pourvoir en nourriture. Les légumes frais sont des apports de vitamines précieux pour les éreintantes patrouilles opérationnelles. L’embarquement dure des heures car les victuailles sont faufilées à travers d’étroits passages et disséminées à l’intérieur dans le moindre recoin. Il n’y a pas que le jambon et les cochonnailles.

Les sacs malléables, surtout les sacs de patates, vont se nicher dans les encoignures les plus invraisemblables, à côté des gilets de sauvetage, près des cartouches de potasse et au milieu d’un bric-à-brac d’outils et de pièces de rechange destinés à réparer au mieux toute fuite ou panne de moteur.

Un tel service crevant à bord (schwerer Dienst) exige des mets divers, variés (Proviant von bester Sorte), riches de sensations goulues, ne serait-ce que pour oublier la pénibilité, la promiscuité, le manque de sommeil, le peu d’air et tant d’inconvénients qui vous émoussent l’ardeur de l’individu.

N’imaginez pas un seul instant que l’épicier du coin vous tende les bras en cas de rupture de stock, il fallait s’assurer que la nourriture embarquée suffise à sustenter l’équipage ! Tout aliment comestible devait être embarqué à bord ou fourni, le cas échéant, en cours de route par des navires de ravitaillement.

Equilibrer le submersible en dispatchant au mieux le circuit de provisions, bien les fixer en cas de dégringolade, ne pas encombrer la salle des moteurs pour éviter de venir constamment récupérer par un incessant va-et-vient les marchandises constituaient quelques-unes des dispositions à bien prendre en considération pour naviguer en parfait équilibre sous la mer.

Ces subsistances étaient stockées dans des endroits les plus insolites : un deuxième W.C. normalement réservé aux officiers était temporairement sacrifié pour accueillir le surplus d’aliments. Les filets de provisions remplis de patates et de carottes germaient sans photosynthèse au bout de deux semaines en se barbant de filasses albinos, l’air vicié avait vite fait aussi d’avarier les Kartoffel.

Durant les deux premières semaines en mer, la nourriture est encore assez variée. Fruits, légumes frais et pain blanc ou noir ou aux cinq céréales mis sous cellophane constituent des denrées appréciées à côté des produits de base, sucre, sel, riz, pâtes (Makaroni, Nudeln), fruits en conserves. Le cuistot (der Smut) mijote des plats préparés à partir des boîtes de conserves (Konservenkost) ou de vivres desséchés (lyophilisés). Porc, lentilles, haricots, carottes sont conditionnés dans des récipients aux contenances diverses, parfois calculées pour 50 hommes. Le Fensterfisch, c’est le sobriquet du hareng vitrifié dans son écrin de gelée ! Le Pumpernickel (pain noir) en fines tranches, le Schiffzwieback (biscotte de mer) et la pâte de pain en conserves servent de lit au beurre (salé de Bretagne ?) et à la marmelade. Déconsidéré par sa dureté, le Biskuit est appelé par dérision, Matrosekuchen, le gâteau de matelot. Le Muckefuck était un café léger tiré d’un d’ersatz.

Der Wurst est à toutes les sauces ! Car les saucisses (Bockwurst, Knack-,Wiener-, Fleich-, Brat-, Leber-, Blut-...) fumées ou non sont toujours de la partie tout comme les jambons et autres anneaux de saucissons suspendus dans les carrés libres. D’ailleurs chaque centimètre cube est utilisé pour le stockage des rations !

Au-dessus de la tête de l’homme de quart, il arrive que des tranches de lard, attaquées goulûment par les asticots, gigotent doucettement sous leur frénésie insatiable. Avant d’arriver au stade de pupes, les bestioles saupoudrent le plancher si ce n’est l’Eintopf (la potée unique) où elles surnagent comme d’horribles protéines. Pour éliminer une échine lardée de larves, on la baigne dans une mixture à base de potasse (Kalibad). L’un des timoniers nous signala même que les asticots pullulant dans un jambon véreux tombaient tout frétillants sur la grosse boussole.

Parfois des surprises attendent l’équipage. Aucune boîte de ration n’étant explicite quant à son contenu (les conserves ne présentaient aucune indication) les hommes mangent parfois, jour après jour, des légumes cuits à tire-larigot alors que le pain est rationné, c’est ce qui nous est d’ailleurs arrivé ! En effet, lors de la réception des vivres pour notre campagne, on s’aperçut en pleine mer qu’on nous avait trompés sur la quantité de la nourriture embarquée en Norvège. On nous avait vendu des boîtes métalliques contenant du pain soi-disant d’un kilo alors qu’elles ne pesaient que 500 grammes dont il fallait cuire la pâte. Ce qui fit que le pain fut rationné. On ne mourut cependant pas de faim pour autant.

Lors de nos contacts directs avec l’ennemi canadien, nous avons goûté à la gamme d’œufs : crus, en omelette, miroir et durs qu’on prenait sur le pouce lorsque la situation sentait le roussi ! Il fallait d’ailleurs au bout d’un mois commencer à utiliser le stock d’œufs de volaille à toutes les sauces car c’était une préparation culinaire simple qui avait l’avantage de ne pas user inutilement nos charges de batteries lors de notre poser sur le sol marin. Envoyer quelqu’un se faire cuire un œuf chez le cuistot partait chez nous d’un bon sentiment !

 Si le commandant Paul Ackermann rêvait tous les jours de pudding, par contre il détestait les haricots coupés qu’il ne pouvait même pas humer de loin tant leur odeur caractéristique l’indisposait. Nous disposions malheureusement d’une énorme quantité de ces fameux haricots survitaminés. Nous avions également embarqué du Frontpudding qu’il fallait délayer dans l’eau. Le cuistot, fier de ses prérogatives culinaires, n’était pas de cet avis et le mélangeait à du lait qui rendait le mets peu consistant d’autant plus que le coq, sûr de son statut, y versait dessus du sirop de cerise ou quelque chose d’analogue, ce qui produisait une peu appétissante présentation de la chose. Lors de la venue des fayots verts, le commandant qui n’en prenait jamais préférait manger du pain sec, j’en fus témoin. Et voilà le pudding du cher Doktor August Oetker qui arrive ! Comme le sous-marin bougeait beaucoup car la mer était agitée et cela se ressentait même sous l’eau, le médecin, un tantinet espiègle, s’amusa, avec les colorants naturels baignant ce dessert, à créer dessus un bel abcès couleur rubis. N’empêche, ledit pudding qui se retrouvait pour ainsi dire sur le flanc, le commandant le dégusta sans difficultés !

 

L’eau était à la portion congrue. Un verre d’eau quotidien pour un brossage de dents! Le Kaugummi (gomme à mâcher) était distribué pour déstresser les mâchoires; le massepain était très apprécié surtout lors du schnorchelage, un fastidieux ronronnement portant sur les nerfs et l’organisme. Des tablettes de vitamines commencèrent à être distribuées un bon mois après notre départ de Norvège.

Le kautabak, le tabac à mâcher, se présentait en plaques ou en rouleaux de tabac compact pour être chiqué.

 

Question hygiène, le capitaine veillait à ce que la table soit propre, il était regardant sur la tenue, les mains sales étaient bannies (il y avait une indulgence pour les malheureux diésélistes aux ongles noircis). « Pas de porcherie sur mon bateau ! » Le Sontagsputz enclenchait le Reinschiff, mais en fait le nettoyage dominical se faisait le samedi, chacun avait la mission de briquer son gîte intérieur. N’empêche qu’avec ce rituel, le repère de propreté instauré permettait de se situer dans le temps. Ce qui nous obligeait ce jour-là à changer de sous-vêtements, à nous débarbouiller plus proprement, à frotter le cou pour éviter les furoncles, à honorer (certains pieusement) le Jour du Seigneur et par les temps qui couraient, mainte prière d’intercession pour avoir la vie sauve se faisait dans le secret de l’alcôve, n’en déplaise à notre pourfendeur national-socialiste de corbeaux
Il s’agit des curés.
bipèdes, le NS-Offizier Herr Doktor Ludwig, chevalier teuton, ayant mordu à fond dans la ligne du parti !

 

L’air jovial du disque, clin d’œil épanoui dans la grisaille de l’existence, «Ja, das ist mein Sontagsvergnügen, bis 10 Uhr im Bettchen liegen  »
C’est mon plaisir du dimanche de pouvoir me prélasser jusqu’à 10 heures dans mon petit lit.
nous permettait d’apprécier ce moment béni.

 

La musique constituait le baromètre divertissant chargé d’apaiser les dépressions et les vagues-à-l’âme par l’entrain et la bonne humeur qu’elle nous dispensait. Airs martiaux, opérettes du genre Fledermaus de Johann Strauss, classiques de Mozart alternaient la ronde de leurs microsillons avec le Wehrmachtsbericht. Là vraiment,  on était aux premières loges musicales avec des cartons pleins de mélodies débordantes de vitalité. Les romances à l’eau de rose ne figuraient pas dans le répertoire, histoire de ne pas cafarder davantage les nostalgiques

 

Pour ne pas tomber sur le système, il n’y a rien de plus casse-pieds que d’entendre toute la journée les mêmes ritournelles ! Vous aspirez au sommeil après être resté 4 heures complètes debout et je peux même écrire que la Petite musique de nuit de Mozart enrageante car serinée tous les soirs m’empêchait d’entrer dans le monde bienheureux du marchand de sable. Le Lokus (toilettes) sur la porte desquelles des écriteaux
Ordnung ist das halbe Leben, scheiss in’s Loch und nicht daneben! Merde dans le trou et pas à côté!
suggestifs ‘soyez bref’ donnaient le ‘la’ aux sphincters, réservait aux néophytes de fastidieuses manipulations de la pompe pour expulser l’objet de leur délit. Il est un fait que l’utilisation des toilettes était assez compliquée. En général, un sous-marin disposait de deux cabinets d’aisances. Mais on utilisait souvent l’un d’entre eux comme réserve de nourriture, du moins les deux premières semaines. Après chaque utilisation, le contenu des toilettes était transvasé dans un réservoir à l’aide d’une pompe mécanique, pour ensuite être rejeté dans l’océan. L’utilisation des toilettes était interdite quand le sous-marin traquait un ennemi, par crainte que le bruit de refoulement ou les débris flottants ne signalent sa présence.

 

Nous ne subissions pas les revues de paquetage, mais on nous incitait poliment au rangement de nos effets, au nettoyage au mieux de nos habits amidonnés par la crasse. Outre le treillis gris-vert, la veste de cuir et les bottes, l’U-Bootpäckchen (paquet) de chaque homme révélait 2 pullovers, 6 paires de bas, le bonnet de laine à pompon appelé Pudelmütze (coiffe de caniche), plus 6 ensembles de sous-vêtements ainsi que des bottes de mer (Seesstiefel) avec semelles spéciales en cuir et liège. Rien de plus sinon de rares babioles sentimentales !

Et si ce fourniment léger apparaissait bien restreint pour équiper les chevaliers des profondeurs, il faut savoir qu’on éprouvait beaucoup de difficultés à le caser dans les petits placards réservés à cet usage ! Il n’y avait pas de chiqué dans la recherche vestimentaire car même les prestigieux habits bleus de sortie avec leurs décorations devaient rester en caserne.