Histoire mouvementée du cuirassé Tirpitz

La commande du Panzerschiff G fut passée le 14 juin 1936 à l’Arsenal de Wilhelmshaven où les travaux préparatoires commencèrent immédiatement. La découpe de la première tôle se déroula le 24 octobre 1936,

La mise sur cale eut lieu 2 novembre 1936 et après 29 mois de construction, le Tirpitz, frère jumeau du Bismarck, fut lancé le 1er avril 1939, après avoir été baptisé par Frau von Hassel, la fille du Grand Amiral Tirpitz, l’architecte de l’organisation de la kaiserliche Marine. C’est à cette occasion que l’amiral Erich Raeder fut promu Grossadmiral (Grand Amiral).

Ce jour-là, le Tirpitz fut remorqué à quai et les travaux d’armement débutèrent aussitôt et s’achevèrent 23 mois plus tard le 25 février 1941 quand le cuirassé fut admis au service actif. Au début du mois de mars 1941, le Tirpitz quitta Wilhelmshaven, franchit le canal de Kiel pour gagner la Mer Baltique et commencer ses essais à la mer. À sa livraison, il était commandé par le capitaine de vaisseau Karl Topp. Le tonnage, de 43 000 tonnes à vide de combustible et de munitions, atteignait 56 000 tonnes à charge pleine. De l’avant à l’arrière, le Tirpitz mesurait 251 mètres, pour une largeur de 36 mètres et un tirant d’eau de 11 mètres. L’armement du bâtiment était composé de 8 canons de 380 mm, d’une artillerie secondaire et d’une défense antiaérienne.

Les canons de 380 mm étaient appariés en 4 tourelles prénommées Anton et Bruno à l’avant, César et Dora à l’arrière. L’artillerie secondaire comportait 12 canons de 150 mm installés sur 6 tourelles et 16 pièces de 105 mm sur affûts doubles, à laquelle s’ajoutaient 16 canons antiaériens de 37 mm et 80 pièces de 20 mm à tir rapide. Il était doté de deux hydravions de type Arado 196. Son blindage était également réputé résistant à tous les calibres d’obus en usage à l’époque, lors de son lancement: une carapace de 120 à 200 millimètres d’épaisseur protégeait toutes les œuvres vives du bâtiment. Le pont lui-même était blindé afin de se prémunir des bombes anglaises larguées lors des attaques aériennes. Le blindage atteignait son maximum (380 mm) au niveau de la ceinture bardant le navire sur 2 mètres de hauteur de part et d’autre de la ligne de flottaison, celle-ci courant de l’avant de la première tourelle à l’arrière de la quatrième.

Derrière la carapace, un compartimentage très serré était réalisé afin de minimiser l’importance d’éventuelles voies d’eau. Ce cloisonnage était hérité de l’expérience de la Première Guerre mondiale au cours de laquelle les bâtiments de la Kriegsmarine, pourtant moins nombreux, purent tenir tête aux Britanniques grâce à leur robustesse. Les essais et sa mise en condition opérationnelle achevée, le cuirassé participa à l’opération Barbarossa pour dissuader la flotte soviétique d’intervenir et ce en compagnie du croiseur lourd Admiral Scheer, eux-mêmes accompagnés des croiseurs légers Emden, Leipzig, Köln et Nürmberg, de nombreux destroyers, des torpilleurs ainsi que des dragueurs de mines.

Pas d’Océan Atlantique pour le Tirpitz !

La perte du Bismarck a convaincu Hitler de ne pas risquer son dernier cuirassé géant, seul, dans l’Atlantique. Toujours hanté par la possibilité d’un débarquement britannique en Norvège, adoptant la tactique d’un navire toujours à la disposition de la flotte, an der vorhandenen Flotte, le Führer ordonne donc d’embusquer le Tirpitz dans les fjords norvégiens, avec ordre d’être prêt à foncer à la première occasion, soit sur les convois de Mourmansk, soit sur les forces alliées attaquant la côte. Cette présence oblige les Alliés à le surveiller comme le lait sur le feu car il faisait peser une menace mortelle sur les convois entre la Grande-Bretagne et l’URSS.

Cela offrait, en outre, l’avantage de contraindre la Royal Navy à immobiliser à Scapa Flow et en Islande des forces navales importantes dont les Anglais avaient un besoin urgent ailleurs, en Méditerranée et dans l’Océan Indien, par exemple.

Sosie du Bismarck qui fut vainqueur, en tirant une seule salve de canons sur le croiseur de bataille britannique Hood, le Tirpitz menaçait clairement la puissance navale britannique et le danger qu’il représentait immobilisa durant de long mois les plus grands navires de la Home Fleet, basés à Scapa Flow.

Le 29 décembre 1941, Hitler décida de concentrer les unités de surface restantes de la Kriegsmarine en Norvège car il était persuadé que les Alliés allaient y débarquer.

Tirant les leçons de la découverte du Bismarck par le croiseur suédois Gotland (qui le signala aux Anglais) lors de sa traversée du Skagerrak, le Tirpitz gagna cette fois discrètement, via le canal de Kiel, la Mer du Nord le 12 janvier 1942 pour y retrouver ses quatre destroyers d’escorte avant d’arriver à Trondheim le 16 janvier 1942.

Les Anglais, cependant, sont alertés et, persuadés que le Tirpitz va se lancer à l’attaque, envoient, dès le 30 janvier 1942 (Opération OILED) neuf Halifax et sept Stirling bombarder de nuit le cuirassé allemand au mouillage à Aasfjord, près de Trondheim.

Du fait d’une finition imparfaite, de nombreux éléments sont achevés au second mouillage au Faettenfjord en Norvège, à proximité de la ville de Trondheim  et à seulement 50 km de la frontière suédoise (cf. cartes).

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Le 5 mars, (Opération SPORTPALAST) battant pavillon de l’Amiral Ciliax, le Tirpitz appareille de Trondheim, escorté de trois destroyers mais il est aperçu par le sous-marin Seawolf qui alerte l’amiral Tovey, commandant en chef de la Home Fleet.

Or celui-ci est déjà à la mer avec une force imposante: les cuirassés King George V, Duke of York, le croiseur de bataille Renown, le porte-avions Victorious, un croiseur lourd et douze destroyers.

Le 7 mars, le mauvais temps et la visibilité réduite font que les Anglais et les Allemands passent à 80 milles les uns des autres, sans s’en rendre compte, et le Tirpitz s’échappe vers le nord.

Le 9 mars au matin, le temps étant redevenu plus clair, le Victorious fait décoller 12 avions Albacore qui attaquent le Tirpitz à la torpille au large des îles Lofoten. Là encore aucun coup au but! Le navire allemand se réfugie à Narvik, d’où il repart quelques jours plus tard, en déjouant la surveillance des Britanniques, pour rallier Trondheim. Le but de cette sortie, qui était l’attaque des convois arctiques PQ-12 et QP-8, est manqué. Mais elle a coûté huit mille tonnes de mazout, et le Tirpitz, faute de carburant, est pratiquement réduit à l’immobilité, ce que les Anglais ignorent, et ils s’attendent toujours à une nouvelle sortie du cuirassé allemand.

Aussi pour faire face à cette éventualité, (Opération CHARIOT) envoient-ils un commando détruire la forme-écluse de Saint-Nazaire (28 mars 1942), seule capable de caréner le cuirassé, sur la côte atlantique, en cas d’avaries que le géant d’acier pourrait subir au cours de  prochains combats. Craignant son enlèvement à Kernevel-Lorient par des commandos anglais, Doenitz déménage avec ses services à Paris, Boulevard Suchet.

HistoireTirpitz02Trois jours agrès le raid de Saint-Nazaire, 33 bombardiers lourds Halifax de la R.A.F. (Royal Air Force) attaquent, encore sans succès, le Tirpitz près de Trondheim.

Le 27 avril, la R.A.F. attaque de nouveau, et de nuit, avec 31 Halifax et 12 Lancaster: pas de coup au but.

Le lendemain, une nouvelle attaque de nuit par 23 Halifax et 11 Lancaster. Toujours aucun coup au but ! Désappointée, mais non découragée, la Royal Navy, qui a perdu sept avions au cours de ces deux dernières attaques, cherche d’autres méthodes pour atteindre le cuirassé.

En attendant, les Allemands, qui ont réussi à envoyer suffisamment de mazout en Norvège, tentent, au cours de l’été 1942, une sortie en force dans l’Arctique (Opération RÖSSELSPRUNG, Saut du cavalier). Le Tirpitz, le cuirassé de poche Admiral Scheer et le croiseur Hipper se concentrent à Altenfjord, près du cap Nord, appareillent le 3 juillet et retournent, dès le 5 au soir, à leur base, sans avoir pu intervenir sur le convoi PQ-17 qui, longeant la banquise, se fraye un chemin vers l’est à travers la Mer de Barents. Mais devant la menace des forces navales de surface allemandes, l’Amirauté britannique, consciente du fait que la Home Fleet est trop loin à l’ouest et que l’escorte anglaise de croiseurs et de destroyers n’est pas de taille à lutter, ordonne à cette escorte de se replier vers l’ouest et au convoi de se disperser. Le résultat est que les infortunés cargos, livrés à eux mêmes, sont détruits un par un par la Luftwaffe et les U-Boote. Sur les 33 bâtiments du convoi, 10 seulement parviendront en Russie!

Ce désastre montre à quel point la présence du Tirpitz a influencé fâcheusement le haut-commandement britannique, au point de lui faire commettre une surprenante erreur de tactique. Le Tirpitz gagne ensuite Trondheim pour subir un grand carénage. 

Le 26 octobre 1942 un bateau de pêche norvégien commandé par Leif Larson, le célèbre chef de la Résistance norvégienne, quitte sa base des îles Shetland, emmenant à son bord six hommes-grenouilles et leurs deux chariots. Il s’agit de torpilles biplaces naviguant en plongée et en surface pendant six heures à la vitesse de 3 nœuds. Larson et son bateau parviennent avec habilité dans le fjord, mais une tempête s’étant élevée alors qu’il n’est plus qu’à huit kilomètres de son objectif, les chariots, remorqués sous l’eau, partent à la dérive et disparaissent Tous les hommes, sauf un, réussissent à gagner la Suède, mais le Tirpitz a encore échappé à la destruction. Le 31 décembre 1942, en Mer de Barents, à la suite de l’humiliante défaite infligée à de puissantes forces navales allemandes par une escorte britannique beaucoup plus faible accompagnant le convoi JW-51 B, Hitler a décidé de mettre à la ferraille tous les bâtiments lourds de sa flotte de surface. En désaccord avec le Führer, le grand amiral Raeder démissionne, le 30 janvier 1943, et son successeur, l’amiral Doenitz, finit par persuader Hitler de revenir sur une décision dont tout le profit irait aux Alliés.

Bientôt une menace d’un autre genre va planer sur le cuirassé.

Attaqué par des sous-marins de poche midget :

Ses réparations terminées à Trondheim, le Tirpitz repart pour Altenfjorden en février 1943. Il y demeura immobile jusqu’au 8 septembre, date à laquelle il ira bombarder, en compagnie du Scharnhorst et de dix destroyers, une station météorologique norvégienne au Spitzberg (Opération ZITRONELLA-SIZILIEN).

Après cette opération sans gloire, il regagne Altenfjord. Les Anglais tentent alors contre lui une de leurs opérations les plus audacieuses de toute la guerre (Opération SOURCE). Ils ont mis au point un sous-marin de poche, baptisé X, ou midget-submarine, long de 16 mètres, déplaçant 30 tonnes et pouvant plonger à 90 mètres à la vitesse de 8 nœuds, avec un équipage de 4 hommes. Le plan adopté prévoit que des sous-marins classiques remorqueront les 6 sous-marins de poche jusqu’à l’entrée de l’Altenfjord. Là, ils seront largués et poursuivront leur route en plongée vers les objectifs fixés (le Tirpitz, le Scharnhorst et le Lützow) sous lesquels ils placeront des charges explosives dont la mise à feu à retardement leur permettra de s’échapper.

Dans la nuit du 11 au 12 septembre 1943, les midget, remorqués par les sous-marins quittent leur base d’Ecosse ; pendant le voyage, deux X sont perdus, le X-7 se prend dans un câble de mine, mais réussit à se dégager.

Le 20 septembre au soir, les quatre engins restants quittent les sous-marins remorqueurs et cinglent vers le fjord. Finalement seuls le X-6 (commandé par le lieutenant de vaisseau Cameron, de la Royal Naval Reserve) et le X-7 (commandé par le lieutenant de vaisseau Place, de la Royal Navy) parviennent à traverser les champs de mines, à réparer quelques avaries et à recharger leurs batteries.

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A l’aube du 22 septembre ils font route sur leur objectif dans le Kaafjord. Place réussit à forcer le barrage sous- marin, mais il se prend dans les filets de protection entourant le Tirpitz et met plus d’une heure pour s’en dépêtrer. Le X-6 de Cameron réussit à atteindre son objectif, mais aperçu par les vigies allemandes et engagé dans un filet lui aussi, il est grenadé et mitraillé. Il arrive cependant à larguer ses charges explosives à proximité immédiate des tourelles du cuirassé avant de se saborder. Les Allemands aperçoivent peu après le X-7 que Place a fini par dégager des filets. A l’issue de cette manœuvre, il émerge à moins de 30 mètres du Tirpitz, replonge et va heurter la coque du cuirassé. Il largue une charge explosive sous la tourelle avant, se déplace de quelque 60 mètres vers l’arrière, et dépose sa deuxième charge. Il tente alors de s’enfuir, se prend encore dans les filets; l’explosion des charges endommage tellement le petit sous-marin qu’il finit par couler. Deux heures et demie plus tard, ce qui tient du miracle, le sous-lieutenant Aitken reparaît à la surface, respirant à l’aide d’un appareil de plongée Davis. Il a passé tout ce temps sous l’eau à tenter, en vain, de sauver ses deux compagnons ! Tout cela a causé une certaine confusion à bord du Tirpitz ; l’explosion des charges a soulevé le cuirassé d’un mètre quatre-vingts, renversé et projeté un peu partout l’équipage, coincé les portes, démoli l’éclairage et donné au navire une gîte de 5° sur bâbord. Les avaries sont graves: trois des machines principales hors de service, un gouvernail faussé, deux tourelles coincées, des membrures de coque tordues...

Enfin, après tant d’insuccès, les Anglais ont réussi à immobiliser le Tirpitz pour six mois au moins !

 

Suite aux réparations du cuirassé étalées de septembre 1943 à avril 1944 et effectuées grâce à des navires-ateliers venus d’Allemagne, la situation navale a vu une modification radicale dans ce secteur.

Le Scharnhorst a été coulé le 26 décembre 1943 et le Lützow est rentré en Allemagne, mais le Tirpitz, que les Norvégiens appellent désormais « le Roi solitaire du Nord », est toujours là, menaçant les routes de l’Arctique.

L’Altenfjord est hors de portée des bombardiers de la R.A.F.

Aussi, le 2 avri11944, deux grands porte-avions, le Victorious et le Furious, accompagnés de quatre porte-avions d’escorte, sous le commandement de l’amiral Moore, opèrent au nord de l’Altenfjord.

Le lendemain 3, à 4h 15, une première vague de 21 bombardiers Barracuda escortés de 40 chasseurs décolle, suivie, moins d’une heure plus tard, par une seconde vague (Opération TUNGSTEN).

Les marins du Tirpitz, qui se préparaient à appareiller pour effectuer des essais en mer, sont totalement surpris ; l’alerte ayant été donnée trop tard, une partie des machines fumigènes et des pièces d’artillerie de D.C.A. n’est pas prête. Dans un vrombissement assourdissant qui déchire le silence matinal du fjord, les Barracuda arrosent le navire de bombes sous-marines perforantes et explosives, tandis que les chasseurs mitraillent les superstructures. Un bombardier et un chasseur sont abattus, mais à la fin de l’attaque qui n’a duré qu’une minute environ, de nombreux incendies font rage à bord du Tirpitz. Une heure plus tard, la seconde vague, également forte de 21 bombardiers et de 40 chasseurs, se heurte à une D.C.A. plus intense et des écrans de fumée plus efficaces.

Si les Anglais déplorent la perte d’un bombardier, le Tirpitz encaisse par contre de nombreux coups; il y a 122 morts et 316 blessés à bord du cuirassé. Les dégâts quoique importants, ne sont pas décisifs, les bombes de 1 600

livres n’ayant pas pu percer le pont blindé principal. Le Tirpitz est cependant immobilisé pour trois nouveaux  mois. Mais la Fleet Air Arm et surtout le tenace Churchill n’entendent pas laisser la proie leur échapper.

Trois nouvelles tentatives analogues, prêtes à être effectuées le 24 avril (PLANET), le 15 mai (BRAWN) et le 28 mai (TIGER CLAW) sont annulées par suite du mauvais temps.

Le 17 juillet, des écrans de fumée empêchent les aviateurs anglais de mettre au but (MASCOT).

La série noire continue: le 24 août, 77 bombardiers ne toucheront le cuirassé que deux fois, et encore, superficiellement ; le 29 août, (GOODWOOD IV) nouvelle attaque infructueuse car le Tirpitz est entièrement recouvert de fumigènes. C’est la dernière attaque menée par la Fleet Air Arm.

La leçon à tirer des ces échecs est qu’il faudrait des bombes beaucoup plus grosses (que ne peuvent évidemmentpas emporter des avions décollant de porte-avions) et pouvoir bénéficier à la fois du beau temps et de l’effet de surprise, éléments plutôt contradictoires! Alors, les pilotes des avions du Bomber Command essayent une autre méthode pour venir enfin à bout du Tirpitz. Ils envoient 28 bombardiers quadrimoteurs lourds Lancaster au nord de la Russie, à l’aérodrome de Yagodnik, d’où ils décollent le 15 septembre (PARAVANE) à l’aube, à destination d’Altenfjord. L’attaque se déroulera donc en deux temps : les vingt Lancaster armés d’une Tallboy frapperont les premiers, suivis, quelques minutes plus tard, par six autres Lancaster chargés chacun d’une douzaine de johnny walker - le vingt-septième Lancaster, désarmé, devant quant à lui filmer toute l’opération. Malgré l’écran de fumée, une bombe tombe sur le gaillard d’avant, ouvrant le pont supérieur comme le couvercle d’une boîte de conserve. C’est gagné !... Désormais, le cuirassé allemand ne pourra plus prendre la mer pour combattre, tout au plus peut-il être utilisé comme batterie flottante en cas d’un débarquement allié en Norvège.

Le Tirpitz se rend alors à l’île de Haakoy, dans le fjord de Tromsø, à 320 kilomètres plus au sud. Pour éviter que le bâtiment ne chavire, même s’il est coulé, on aménage un fond plat sous sa quille. Les Allemands, cependant, n’ont pas pensé qu’en ramenant le Tirpitz plus au sud, il se trouvait maintenant à portée des bombardiers lourds de la R.A.F basés en Ecosse. Ces bombardiers, des Lancaster, sont aménagés en conséquence: on leur supprime des blindages et des tourelles de mitrailleuses et on les dote de réservoirs supplémentaires largables.

Le 29 octobre, 38 Lancaster, en raison de la mauvaise visibilité, ne parviennent pas à mettre un coup au but, de plus ils perdent un appareil. (OBVIATE) A la suite de ce raid, la Luftwaffe installe à Bardufoss une escadrille d’une trentaine de chasseurs qui, pour une raison inconnue, n’intervinrent pas lors du meurtrier raid suivant !

 Et le dimanche 12 novembre 1944, à 3 heures du matin, 32 Lancaster du Bomber command de la R.A.F porteurs de leurs bombes de 12 000 livres décollent d’Ecosse sous le commandement du wing-commander Tait. Chaque avion, les ailes recouvertes de glycol afin d’éviter le givre, transporte 7 tonnes de carburant et 6 tonnes de bombes. 7 appareils du squadron 9 sont incapables de décoller à cause du givre (CATECHISM).

En atteignant la côte norvégienne, les deux vagues d’avions successives s’engagent au-dessus de la terre, décrivant un large cercle pour approcher du cuirassé, du côté où on les attend le moins. Mais l’alerte a cependant été donnée et l’équipage du Tirpitz gagne ses postes de combat. Sur le rivage, les servants des machines fumigènes se tiennent prêts et, à 32 km de là, huit chasseurs allemands décollent de Bardufoss. La matinée est claire et ensoleillée. Tandis que les aviateurs anglais se rapprochent de l’objectif en scrutant anxieusement le ciel à la recherche des chasseurs ennemis, ils n’en voient pas un seul. Soudain, leur proie est là, à 14 000 pieds plus bas, longue forme noire ancrée près de la côte. Il n’y a même pas d’écran de fumée artificielle. Les grosses bombes larguées de la première vague foncent à la verticale vers le navire et un premier projectile le touche au milieu à tribord. Il ouvre une brèche dans la coque par où la mer s’engouffre couchant dans un premier temps le bâtiment de 30° sur bâbord. Deux autres bombes s’écrasent sur l’avant, tandis que la soute à munition arrière saute dans une immense déflagration.

HistoireTirpitz04Le Tirpitz aura finalement survécu trois ans de plus que son sistership, le Bismarck. Le cuirassier amarré dos au versant abrupt du fjord est touché et se retourne sur le flanc droit, le flanc gauche sortant de l’eau d’une hauteur

variable suivant les marées. Contrairement aux espoirs de l’amiral Doenitz qui escomptait au pire des cas que l’épave se planterait debout dans le limon, le navire, touché dans une réserve de munitions, chavira. L’absence d’équipage autre que les artilleurs et les techniciens indispensables à l’alimentation du navire réduisit les pertes humaines. On dénombra néanmoins 971 morts, et moins d’une centaine de rescapés, coincés sous la coque retournée, furent sauvés grâce à la découpe de celle-ci restée émergée du fait de la faible profondeur.

719 matelots sautèrent dans l’eau glaciale et parvinrent à atteindre la terre ferme, par leurs propres moyens ou grâce aux chalutiers de pêche rapidement sur les lieux. Heureusement, qu’au préalable, quelque 600 hommes avaient été ramenés à terre. Le commandant du navire, le Kapitän zur See Robert Weber périt sur son lieu de commandement, le blindage de son poste enfoui dans la vase devint son cercueil.

Les Lancaster regagnèrent l’Ecosse sans pertes, la chasse allemande n’étant pas intervenue !

Après tant de déboires, les Anglais avaient enfin réussi. Au cours de leurs tentatives, ils perdirent 32 avions et 6 midget-submarines pour se débarrasser du Tirpitz ! (Historia magazine n°81) Abandonnée, l’épave fut désossée après guerre par des Norvégiens qui en obtinrent un revenu non négligeable de la revente des câbles et de l’acier.

Voici des extraits du Kriegstagebuch du Tirpiz concernant l’attaque du 12 novembre 1944:

7h 30: A bord du Tirpitz les radars captent les Lancaster. Le pavillon jaune-bleu-jaune monte sur un mât signalant « Attaque aérienne ». Lecommandant Robert Weber fait tourner les énormes tourelles Anton et Bruno dans l’axe des bombardiers. Les 4 canons de 380 s’élèvent lentement. Le personnel de la DCA court à son poste. 8h 15 : Le poste d’observation du lieutenant Hamschmidt signale la pénétration de 3 Lancaster près de Mosjjoen. Weber sait que le chef de poste est fiable. Le système de fumigènes n’est pas mis en route car son installation n’est pas terminée. De toute façon il n’y a pas de vent ce jour-là,

8h 55 : Weber téléphone au Major Esler à Bardufoss pour réclamer des chasseurs qui ne viendront jamais.

Le commandant se renseigne sur la disponibilité des postes: « Tourelles A, B, C, D parées ». « DCA moyenne et légère parée ». « Postes de sécurité parés ». « Cloisons fermées ». « Centrale électrique prête ».

9h 05 : On voit au loin les bombardiers approcher. Ils sont en plein soleil, leur formation est étagée à différentes hauteurs. Weber constate l’absence des chasseurs allemands.

9h 38 : Weber ordonne l’ouverture du feu provenant d’Anton et de Bruno. Les 380 crachent leurs salves dans un boucan d’enfer. Distance 21 kilomètres. Les Lancaster ne semblent pas gênés. La DCA lourde se déchaîne. Dora tire une salve sans autorisation.

9h 42 : Les hommes à bord des Lancaster alignent leurs viseurs sur le Tirpitz. Malgré une DCA fournie, chaque avion largue ses énormes bombes Tallboys qui filent droit au but. A bord du cuirassé on voit les points noirs grossir à vue d’œil. La plupart des bombes tombent à proximité du navire. Au bout de quelques minutes, une bombe pulvérise la catapulte de l’hydravion et pénètre jusqu’au pont cuirassé. Une 2ème tombe par le travers de Bruno. Des colonnes d’eau énormes s’élèvent le long du bord. De l’eau et des pierres retombent sur le pont. Weber sent son navire vibrer sous les chocs et s’incliner. Les cloisons sont déformées par la pression, les fonds sont envahis. Le Tirpitz chavire lentement. L’ingénieur Reinert tente de remplir les ballasts de compensation. Weber ordonne le sacrifice des hommes des centrales 1 et 2 avec défense d’ouvrir les portes étanches.

9h 45 : Tous les systèmes sont atteints, le Tirpitz ne tire plus, les canonniers sont impuissants ou noyés.

9h 50 : La tourelle César est soulevée par l’explosion d’une bombe et passe par-dessus bord ! Un trou énorme la remplace. Ses servants n’ont pas dû avoir le temps de souffrir. Le Tirpitz continue son lent mouvement de rotation.

9h 52: Weber ordonne l’évacuation. C’est la ruée à travers le navire chaviré. Beaucoup de marins resteront bloqués par les compartiments envahis par la mer. Il faut imaginer cette course à travers les fonds du navire.

9h 55 : Le Tirpitz se retourne. Les secours s’organisent, on fait venir des chalumeaux pour découper la coque. Certains marins seront sauvés après un hallucinant périple dans les fonds.

(Sources: Surcouf 20l0 plus diverses sources dont Léonce Peillard "Attaquez le Tirpitz" Editions J’ai lu).