Gerhard Albert+, né le 19 novembre 1944 à L’Hôpital.

gehrardAlbert01Enrôlé de force dans la 3. 11. M.E.A. sous le matricule 0 1881/44R.

Son fils Albert me rapporte : « Mon père a assisté en direct au naufrage du Tirpitz étant donné qu’il était soldat garde-côtes, chargé de surveiller les quais militaires et les bâtiments qui relevaient de la Kriegsmarine dans le port de Tromsø.
Très conciliant avec la population norvégienne, il n’a jamais cherché à lui nuire. Ainsi, lors des contrôles effectués sur les barcasses de pêcheurs rentrant au port, il était très indulgent sur le quota des produits pêchés au point que, le bouche à oreille fonctionnant, les bateliers s’arrangeaient pour passer en grand nombre auprès du vérificateur bienveillant. Sachant que cette mansuétude à leur égard lui causerait des soucis, il leur fit comprendre de ne plus se ruer sur son poste. La population locale avait rapidement su que c’était un incorporé de force car, pour accréditer ses dires de Français forcé de porter l’uniforme, Albert s’était mis à seriner des chansons à la mode, le J’attendrai, les Sambreros et Mantilles de Rina Ketty et d’autres tubes de Tino Rossi qui ont convaincu son auditoire et la famille norvégienne avec laquelle il avait sympathisé, de sa bonne foi !
La marque de confiance des autochtones lui a permis de bénéficier d’appréciés avantages dans les confins nordiques où il valait mieux profiter de la chaleur d’un hangar que de se morfondre dans un trou terreux de fantassin sous la bise polaire qu’il a maintes fois connue.

gehrardAlbert02Naufrage du Tirpitz : En ce matin du 12 novembre 1944, père a vu se pointer dans le ciel matinal deux avions de reconnaissance chargés de repérer le cuirassé. Au milieu du raffut d’artillerie, il a admiré le courage des deux intrépides pilotes, environnés au passage de leur coucou par une volée d’obus sans pareille. Des vrais trompe-la-mort qui ont pu renseigner les vagues suivantes de bombardiers sur l’emplacement bien dégagé du Tirpitz !
Depuis quelques mois, le cuirassé disposait de nouveaux obus de 380 mm à fragmentation qui, sur le papier, étaient supposés offrir une certaine efficacité contre les avions mais qui, en pratique, ne servaient qu’à faire du bruit et à occuper les artilleurs. Ignorant cette faiblesse patente, les Lancaster nullement impressionnés par ce vacarme, poursuivirent leur progression comme si de rien n’était et sans se soucier davantage des projectiles de 105, de 37 et de 20 mm lancés du Tirpitz dont la trajectoire était incapable de les atteindre puisque les pilotes volaient très haut dans le ciel.
gehrardAlbert03Son unité s’était mise à l’abri lorsque tomba le feu céleste. Arrivées un peu plus tard sur le lieu de la catastrophe, les équipes de secours tardèrent à venir au contact des emmurés. D’après les ouï-dire de certains sauveteurs, les mesures de sauvetage entreprises dans la précipitation ont conduit à des erreurs manifestes dans le plan d’assistance à personnes en danger de mort. Ainsi, le fait d’avoir perforé les plaques d’acier à hauteur de la quille a libéré une importante poche d’air dans laquelle s’engouffra par la suite la marée montante, condamnant inexorablement des rescapés sur le point d’être sauvés.
Père a assisté à l’inhumation collective des malheureux qu’on enterra avec les honneurs militaires dans une immense fosse commune. Etant donné que la présence des unités de garde autour du Tirpitz n’avait plus leur raison d’être, beaucoup de marins furent envoyés du côté de Kirkenes et de Petsamo pour essayer de contenir la progression des Soviétiques. Le Mosellan remarquera à son retour de Laponie que la terre qui avait servi à combler la cavité funèbre s’était singulièrement affaissée.
Au lendemain de l’armistice, les prisonniers russes ne voulaient pas retourner dans leur pays sachant ce qui les attendait comme souffrances et adversités dans les geôles staliniennes et la lointaine Sibérie. C’est à coups de crosses que les malheureux furent invités à monter à bord. Nombre d’entre eux sautèrent par-dessus bord, mais les Norvégiens intransigeants les ramenèrent manu militari et à coups de gaffe tout trempés à bord !